November 29, 2005

Bourreaux et victimes

Bourreaux et victimes
Françoise Sironi,
Ed. Odile Jacob, mars 1999.

Disponible sur Amnesty Belgique.


L'ouvrage de Françoise Sironi est le résultat d'années de pratique en tant que psychanalyste, dans le cadre de la clinique des victimes de la torture.

Dans une lignée de travaux d'ethnopsychiatrie, l'auteur envisage la torture comme un processus de déculturation, de violente désaffiliation.

Cette intégration de l'approche ethnologique se corrobore dans la lecture de la souffrance psychique des victimes : les troubles psychiques des sujets torturés ont pour Françoise Sironi une origine extérieure à la victime, qu'elle identifie comme intentionnalité du tortionnaire, une tentative du groupe des bourreaux de briser les liens qui reliaient l'individu à une organisation, un groupe. Ce diagnostic l'amène à rompre avec les pratiques classiques de la psychanalyse et leur postulation d'un conflit intra-psychique.

Le point de départ de l'analyse de Sironi est un rappel de la fonction politique et sociale de la torture : elle consiste à faire taire beaucoup plus qu'à faire parler. L'obtention d'aveux ou de renseignements n'est que la finalité apparente, c'est d'ailleurs celle que revendiquent les bourreaux eux-mêmes, mais ce faisant, ils s'emploient bien davantage à faire taire leurs victimes. Faire taire veut dire ici détruire la personne mais, à travers la personne, il est question de la destruction de ses groupes d'appartenance (religieux, politiques, associatifs etc.), de la part collective de l'individu : la torture est une méthode de déculturation, une manière de ramener l'humain à son noyau le plus universel, de le réduire à un être sans spécificité culturelle, sans singularité.

S'il est vrai que la torture doit être pensée comme pratique de déculturation et de désaffiliation, dans le même temps, l'auteur insiste sur le fait que le processus de déculturation subi par la victime doit être compris comme un processus d'influence, celui imposé par le groupe des tortionnaires au sujet torturé. F. Sironi appelle effraction psychique cette action du bourreau qui fait entrer en chacun l'autre que soi et le modifie radicalement, au point que tout ce qu'éprouve et pense l'individu est en lien avec un autre, avec la manière dont l'autre l'a pensé, chosifié.

La réflexion de F. Sironi sur le phénomène de la torture récuse toute approche qui s'en tiendrait à une lecture basée les affects (cruauté des bourreaux, besoin de domination, plaisir de voir souffrir, haine de l'ennemi). La torture n'est pas l'affaire exclusive de détraqués mentaux et de pervers sadiques : l'analyse de l'auteur démonte un à un les modes opératoires des tortionnaires, la finalité très spécifique qui est la leur dans leur volonté de briser tous les liens et toutes les attaches qui marquaient l'appartenance de l'individu à un groupe.

Source INRP. Philosophie de l'éducation. Mémoire et histoire. Lecture, citations. 2003
Françoise Sironi : Bourreaux et victimes
Posted 20 years, 3 months ago on November 29, 2005
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