December 1, 2005

Outreau : les réquisitions sont hors-normes

PARIS (AFP), 1 décembre 2005 - En intervenant exceptionnellement dans le procès d'Outreau mercredi, le procureur général de Paris, Yves Bot, a pesé de tout son poids en faveur d'un verdict d'acquittement qui ne fait plus guère de doute dans un dossier où la justice française aura été sévèrement mise en cause.

Très attendue en raison du réquisitoire de l'avocat général Yves Jannier, cette journée de mercredi aura été marquée par un surprise de taille dans cette affaire qui en a déjà connu beaucoup.

Le procureur général de Paris, Yves Bot, est intervenu à la suite de M. Jannier qui venait de requérir l'acquittement pour les six acccusés rejugés en appel depuis le 7 novembre. C'est la première fois qu'un procureur général vient soutenir à l'audience des réquisitions d'acquittement en France, se livrant dans le même temps à une sorte de mea culpa au nom de l'institution judiciaire et offrant ses "regrets" aux accusés.

Une intervention qui n'a pas fait l'unanimité parmi les syndicats de magistrats et a été vivement critiquée par les parties civiles. "Nous devons faire en sorte que cela ne se reproduise plus", a déclaré le procureur général, l'un des plus hauts magistrats du parquet en France, habillé de sa robe rouge aux parements d'hermine.

Plus exceptionnel encore, le procureur général, délaissant sa robe, a tenu dès la fin de l'audience une conférence de presse d'une vingtaine de minutes au sein même du prétoire pour les médias audiovisuels, mettant en scène une institution judiciaire qui cherche à montrer qu'elle a tiré les leçons de cette "catastrophe". Et ce, avant même le verdict attendu jeudi.

"Pour nous, c'est une souffrance de voir notre justice dysfonctionner de cette manière-là, on est complètement concernés", a déclaré le procureur général, soulignant que ce dossier avait suscité au sein du parquet général "une réflexion qui remonte à plusieurs mois". Le procureur général s'est refusé à attribuer la faillite de ce dossier au juge d'instruction Fabrice Burgaud, mis en cause tant par la défense que par la presse.

"Cela aurait été une échappatoire facile de dire que c'était la faute d'un seul, c'est plus grave que cela, plus grave qu'un dysfonctionnement individuel", a-t-il affirmé. "Le juge Burgaud, d'abord moi je ne connais que le substitut Burgaud qui professionnellement n'a rien de comparable avec ce qui ressort du dossier", a déclaré M. Bot.


Il avait soutenu le magistrat au moment du premier procès de Saint-Omer en 2004, alors qu'il était à la section anti-terroriste du parquet, M. Burgaud ayant bénéficié d'une prime au mérite de 8% pour son travail dans cette section. Cette intervention du procureur général a été diversement accueillie par les syndicats de magistrats.

Elle a été saluée par le président de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), Dominique Barella, qui a déclaré: "Quand l'affaire est hors-normes, les réquisitions sont hors-normes. L'accusation ne tient pas suffisamment. C'est la preuve que l'institution judiciaire est capable de réagir".

En revanche, pour Aida Chouk, président du Syndicat de la magistrature (SM, gauche), "il s'agit d'une justice spectacle qui n'a pas lieu d'être dans un procès où les jurés ont besoin de toute leur sérénité pour délibérer". Enfin, pour Me Pantaloni, avocat de quatre des enfants victimes, "cette intervention est hallucinante. Il (M. Bot, ndlr) a dicté de fait son verdict à la cour d'assises de Paris, ce qui me paraît contraire à toutes les règles".

Libération, 1er décembre 2005, extraits :

C'était il y a quelques jours. Innocenté d'un viol, Kamel Oueslati, jardinier tunisien et sans papiers, a reçu, de la Commission nationale de réparation des détentions, la somme de 80 000 euros. Le prix des six ans qu'il a passés en prison. Dans sa requête, Me Xavier Allard, son avocat, avait osé un rapprochement avec l'affaire d'Outreau, «tant pour les erreurs de l'instruction que pour un séjour en prison rendu plus difficile par une accusation de viol». Pourquoi ne pas calculer les indemnités dues à son client à l'aune de celles promises aux (premiers) acquittés d'Outreau ? Pourquoi pas, pour tous les acquittés, une réception en fanfare par le garde des Sceaux, comme pour les acquittés d'Outreau? «Il m'a été répondu que la référence à Outreau était totalement inopportune et qu'un jardinier tunisien et clandestin avait moins souffert de la solitude en détention que d'autres, de par son statut, raconte Me Xavier Allard, alors, je me dis que : soit le système judiciaire fait semblant de demander pardon ­ hypocritement devant les caméras; soit, dans ce système, une infime minorité réfléchit et veut que les choses changent.»

Idéologie. «Il faudrait, assure Henri Leclerc, réfléchir à ces enquêtes très longues avec des gens en détention provisoire. Or, il est presque impossible, dans les affaires graves, d'obtenir d'un juge d'instruction qu'il reconnaisse ses erreurs et délivre un non-lieu. Il faut une réforme profonde de notre système pénal.» D'autant plus dans une société traversée par l'idéologie sécuritaire et la compassion victimaire. Au point que tout argument contraire, même raisonnable, en devient inaudible.


Libération, 1er décembre 2005 :

Entre l'arrestation, le 21 février 2001, du couple Myriam et Thierry Delay, et l'ouverture du procès devant la cour d'assises du Pas-de-Calais à Saint-Omer, le 4 mai 2004, il y a eu 10 000 pièces d'instruction.

25 ans et quatre mois. C'est la durée cumulée du temps passé en détention par les 13 personnes qui ont clamé leur innocence pendant quatre ans. Sans compter les 17 mois de François Mourmand, mort en prison.

100 000 euros ont déjà été versés à chacun des sept acquittés de Saint-Omer au titre de la «faute» de l'Etat. A ces sommes, s'ajoutent des dédommagements individuels parfois bien supérieurs.

Hormis les quatre fils Delay victimes de leurs parents, 25 enfants ont été placés sur réquisition du parquet: pas un ne s'était plaint d'abus sexuels, aucune de leurs familles n'était suivie pour violences. 20 sont encore placés aujourd'hui.


Le procès d'Outreau tourne au "mea culpa" judiciaire
LEMONDE.FR | 30.11.05

Concernant les responsabilités magistrats dans cette affaire, il a estimé que "cela aurait été une échappatoire facile de dire que c'était la faute d'un seul, c'est plus grave que cela, plus grave qu'un dysfonctionnement individuel". "C'est au scanner, à l'IRM qu'il va falloir passer ce dossier, il y a eu trop de cloisonnements, trop d'institutions qui sont intervenues", a-t-il prévenu. Et d'insister : "Outreau a fait naître le doute sur la justice, il va donc falloir transformer ce doute à nouveau en une confiance".

Evoquant le "dysfonctionnement majeur, catastrophique de l'institution judiciaire", M. Bot a également déclaré qu'il n'était "pas question de ne pas examiner les responsabilités individuelles" dans ce dossier.

Le juge Fabrice Burgaud qui a instruit l'affaire d'Outreau a été très critiqué pour son instruction "à charge"."Moi, je n'ai connu que le substitut Burgaud, qui professionnellement n'a rien de comparable avec ce qui ressort du dossier" d'Outreau, a dit à la presse Yves Bot. A l'audience, Yves Bot avait envisagé l'hypothèse de poursuites disciplinaires contre ce magistrat, poursuites dont le déclenchement est soumis au ministre de la justice.

Le ministre de la justice Pascal Clément donnera une conférence de presse, jeudi 1er décembre, après le verdict de la cour d'assises de Paris dans l'affaire de pédophilie d'Outreau, a annoncé son cabinet. Outre sur de possibles sanctions disciplinaires, il devrait se prononcer sur les réformes de procédure envisagées après le premier procès de l'affaire, en 2004.

Le Figaro, le 30 novembre 2005, extrait :

2000
-Décembre: Les services sociaux de Boulogne-sur-Mer signalent des soupçons d'abus sexuels sur des enfants par leurs parents à Outreau.

2001
-Février: Ouverture d'une information judiciaire pour viols et agressions sexuelles, corruption de mineurs et proxénétisme.

2002
-Juin: Un ferrailleur de 33 ans, suspect, meurt en prison.

2003
-Juillet: 17 personnes sont renvoyées aux assises malgré une demande de non-lieu du juge pour le mari de la boulangère et du procureur pour la femme de l'huissier.

2004
-24 juin: L'avocat général requiert dix condamnations et sept acquittements notamment pour le chauffeur de taxi et la boulangère.

-2 juillet: La cour d'assises acquitte sept des 17 accusés et condamne notamment Thierry et Myriam Delay à 20 et 15 ans de réclusion criminelle.

Le ministre de la Justice Dominique Perben exprime ses «regrets» aux personnes acquittées.

Six des dix condamnés font appel.

2005
-30 nov: L'avocat général Yves Jannier requiert l'acquittement des six accusés. Le procureur général de la cour d'appel de Paris Yves Bot exprime ses «regrets» aux accusés.

Posted 20 years, 2 months ago on December 1, 2005
The trackback url for this post is http://justice.cloppy.net/b.blog/bblog/trackback.php/236/

Add Comment

( to reply to a comment, click the reply link next to the comment )

 
Comment Title
 
Your Name:
 
Email Address:
Make Public?
 
Website:
Make Public?
 
Comment:

Allowed XHTML tags : a, b, i, strong, code, acrynom, blockquote, abbr. Linebreaks will be converted automatically.

 
Captcha:
captcha image

Please type the content of the above image into the following form-field.