December 3, 2005

Ce serait la fin des « affaires »

L'ère des grandes affaires politico-financières est révolue
Article paru dans l'édition du Monde du 17.07.05
Extraits :

AINSI, ce serait la fin des « affaires ». Depuis quelques années, les milieux judiciaires, policiers, politiques - et journalistiques - se nourrissent de cette conviction commune : les enquêtes politico-financières ont vécu. L'époque des « petits juges » s'attaquant aux ministres, députés et autres chefs de parti serait révolue.

Ce constat abrupt mérite certes d'être nuancé. Toutefois, de nombreux indices attestent que la justice financière a tourné une page de sa courte histoire. Une multitude de facteurs expliquent cette mutation.

Les camouflets infligés aux magistrats financiers. Le début des années 2000 a été marqué par une série de désaveux pour les juges d'instruction chargés des dossiers sensibles. Il y eut ainsi, en novembre 2001, la relaxe de l'ancien ministre des finances du gouvernement Jospin, Dominique Strauss-Kahn, dans l'affaire de la MNEF, suivie de celle de l'ancien secrétaire national du PCF, Robert Hue, dans celle du Gifco. Vinrent encore le dessaisissement du juge Eric Halphen, dont l'emblématique enquête sur les HLM de Paris était truffée d'erreurs de procédure, ou la relaxe de Roland Dumas, dans un volet de l'affaire Elf. Ces « claques » ont affaibli les magistrats financiers dans leur ensemble.

Par ailleurs, l'immunité pénale accordée à Jacques Chirac en 1999 par le Conseil constitutionnel - et confirmée en 2001 par la Cour de cassation - a encore accentué leur découragement. Juges et policiers financiers ont vécu comme un camouflet le statut d'« intouchable » accordé au chef de l'Etat, pourtant au centre de plusieurs dossiers majeurs (HLM de Paris, lycées d'Ile-de-France, financement du RPR, chargés de mission de la mairie de Paris...).

Le départ des « juges stars ». Plusieurs juges médiatiques, adeptes des actes d'instruction spectaculaires, sont partis. Eva Joly a regagné sa Norvège natale, Laurence Vichnievsky a accédé à la présidence du tribunal de Chartres, Isabelle Prévost-Desprez a également quitté l'instruction... Quant à Eric Halphen, il s'est mis en congé de la magistrature. Tous ont fait part de leur lassitude, voire de leur découragement. Aujourd'hui, le pôle financier parisien abrite encore deux juges connus du grand public : Philippe Courroye et Renaud Van Ruymbeke.

Cependant, si ces magistrats instruisent plusieurs dossiers sensibles (Total, frégates de Taïwan...), ils le font dans la discrétion. L'un comme l'autre ne paraissent guère goûter au vedettariat, refusant notamment d'accorder des entretiens à la presse.


La fin des enquêtes-fleuves.

Objets de toutes les critiques, les instructions-fleuves, comme celle sur les faux électeurs du 3e arrondissement de Paris (seize ans d'enquête !), sont désormais bannies. Les juges, sous la pression des parquets - notamment dans la capitale - bouclent plus rapidement leurs investigations, quitte à laisser de côté certaines pistes ouvertes par leurs enquêtes. De ce fait, les dossiers sensibles ne se transforment plus en interminables feuilletons aux multiples rebondissements. Le juge Courroye incarne cette nouvelle politique. Il a traité en un temps record (moins d'un an) les enquêtes visant Pierre Bédier et Charles Pieri. Même son instruction sur les ventes d'armes vers l'Angola, aux nombreuses ramifications internationales, a été clôturée en moins de cinq ans.


Des dossiers anciens.

Une opinion publique moins sensible.

Tout se passe comme si, désormais, les citoyens tenaient pour acquis la corruption d'une partie de la classe politique.

Les médias contribuent à cette banalisation.

Ce sont les faits divers et le fonctionnement de la justice elle-même qui sont désormais au coeur des préoccupations. Une évolution que les hommes politiques ont encouragée, voire suscitée.


Une nouvelle politique pénale.

Les lois Perben ont accru le pouvoir accordé aux procureurs - placés sous la tutelle du ministre de la justice.

Poursuivie par son successeur, Jean-Claude Marin, elle est mal vécue par les juges d'instruction, qui dénoncent un affaiblissement de leurs prérogatives et une   reprise en main » politique. De fait, le parquet de Paris privilégie les enquêtes préliminaires, placées sous son contrôle, au détriment des informations judiciaires, et rechigne à délivrer des réquisitoires supplétifs (qui permettent d'étendre les investigations des juges).


Des pratiques plus transparentes.

Les dérives semblent désormais le fait d'individus, ce qui les rend aussi plus difficiles à détecter.


De nouvelles affaires.

Après avoir attaqué la sphère politique, les magistrats concentrent leurs efforts sur le monde économique. Paradoxalement, si les sommes en jeu sont plus importantes, l'impact de ces affaires dans l'opinion est bien plus faible.

D'autre part, pour l'opinion, ces nouvelles affaires, qui mettent en jeu des mécanismes complexes (Vivendi, Rhodia...), sont souvent moins compréhensibles que les dossiers politico-financiers.
Posted 20 years, 2 months ago on December 3, 2005
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