December 4, 2005

Le fantasme de l'enfant parfait


Le fantasme de l'enfant parfait
L'Express du 07/03/2005
par Jacques Sédat

Un rapport d'une inspectrice de l'Education nationale, Nicole Baldet, intitulé «Brutalités et harcèlement physique et psychologique exercés sur des enfants par des personnels du ministère», relate des faits troublants de maltraitance en maternelle et à l'école primaire. Une enseignante de petite section ferme la bouche d'une élève avec du ruban adhésif à la suite de vomissements. Une autre insulte des enfants de CE 2, leur tire les cheveux, écrase sa craie sur eux... Dans ces exemples, qui ne sont pas généralisables, on est surpris par la disproportion entre les faits - la «faute» éventuelle - et le châtiment. Cela relève de la maltraitance et d'une rage à l'égard de l'enfant en tant qu'enfant.

Dans ces cas extrêmes, cette violence s'exerce sur le petit parce qu'il est imparfait et qu'il échappe à la maîtrise que l'enseignant entend exercer sur lui. Il y a un vieux fond de violence présent en nous tous qui réclame que l'autre soit conforme à l'image que l'on se fait de lui. Cette pulsion d'emprise se retrouve dans tous les totalitarismes, car il s'agit, à chaque fois, de produire un homme nouveau. Que l'on se souvienne de l'expression paradoxale de Rousseau dans son projet éducatif: «On les forcera d'être libres.» Que l'on se souvienne de l'éducation «parfaite» dont a souffert un jeune Suisse, Fritz Zorn, qui a pu écrire dans son autobiographie, Mars (Gallimard): «J'ai été éduqué à mort.» Il est d'ailleurs décédé d'un cancer avant d'avoir vraiment «vécu».`

On a récemment ressorti une justification ahurissante du goulag, écrite en 1950 par un ancien des camps nazis, Pierre Daix, qui y voyait le «parachèvement de la suppression complète de l'exploitation de l'homme par l'homme» (cité par Michel Surya dans La Révolution rêvée, Fayard). En clair: il s'agissait, selon Daix, de «libérer» les oppresseurs de leur tare, de leur propre oppression. C'est bien l'illustration du précepte rousseauiste. Cette violence exercée sur autrui se justifie souvent à partir d'une fonction dans laquelle on se sent investi d'une mission: faire le bien d'autrui, au besoin malgré lui. Dans le glissement sémantique qui transforme le ministère de l'Instruction publique en ministère de l'Education nationale, sous la IIIe République, s'infiltre une nouvelle mission dévolue aux enseignants, qui induit une certaine relativité des savoirs à transmettre. La maltraitance en milieu scolaire est aussi à mettre au compte du rôle inconfortable des enseignants: suppléer aux insuffisances de l'éducation dans la famille.

TOMKIEWICZ S. - Le fantasme de l'enfant parfait
In L'heure du doute, enjeux et problèmes éthiques.
Association Descartes, Paris
Editeur John Lebbey 1994, 159-166.

Éléments bibliographiques de Stanislas Tomkiewicz
Cité dans Archives, Hommages de Carnet/PSY

Le Carnet Psy n° 78, extraits :
Stanislas Tomkiewicz est mort le dimanche 5 janvier 2003 à l’Hôpital Saint-Louis à Paris. Comme les chats qu’il aimait dessiner dans le haut de son surnom “Tom”, Stanislas Tomkiewicz, pédopsychiatre et psychothérapeute a eu plusieurs vies : il serait présomptueux de penser qu’on pourra les embrasser toutes ici ! Né dans une famille aisée de la bourgeoisie juive de Varsovie à l’automne 1925, il avait survécu au ghetto de Varsovie (il raconte dans un très beau témoignage vidéoscopique comment, dans ce contexte-là son éveil d’adolescent au charme des jeunes filles l’y aida). Déporté à Bergen-Belsen, il avait choisi après sa libération en 1945, de venir en France pour réaliser le vœu de ses parents et devenir “ein guiter Doktor”.

Engagé très tôt dans l’humanisation de la psychiatrie, révolté par les pratiques violentes qu’il avait découvert, rebuté par la psychanalyse à laquelle il fit rapidement le choix de ne pas se soumettre tout en sachant en reconnaître à la fois les grandeurs et les limites, il manifestait à ses patients, qu’il s’agisse d’enfants autistes, d’adultes psychotiques, de nourrissons ou d’adolescents en souffrance psychique, qu’il pouvait se sentir en empathie et solidaire de leurs souffrances.

Rejeté de l’enseignement médical universitaire, il fut un enseignant marquant de psychopathologie à Paris VIII Vincennes. Mais de cette activité professionnelle déjà particulièrement dense, il ne sépara jamais une importante activité militante d’abord au sein du parti communiste français (un ouvrage à ce sujet est à paraître aux éditions de La Martinière), ensuite, après son départ de ce parti en 1972, en militant humaniste sachant lutter contre toutes les formes de violences individuelles ou institutionnelles.


Voir également La lettre n° 42 – mars 2003 sur aidh.org.
Posted 6 days, 2 hours ago on December 4, 2005
The trackback url for this post is http://justice.cloppy.net/b.blog/bblog/trackback.php/260/

Add Comment

( to reply to a comment, click the reply link next to the comment )

 
Comment Title
 
Your Name:
 
Email Address:
Make Public?
 
Website:
Make Public?
 
Comment:

Allowed XHTML tags : a, b, i, strong, code, acrynom, blockquote, abbr. Linebreaks will be converted automatically.

 
Captcha:
captcha image

Please type the content of the above image into the following form-field.