December 21, 2005

L'« effet Outreau » se fait déjà sentir

JUSTICE Nombre de justiciables, innocentés, réclament désormais de solides compensations financières pour indemniser les mois ou années passés en prison pour rien.
Le Figaro, par Laurence de Charette
[21 décembre 2005]

DEPUIS le procès d'Outreau, les incidents sont quotidiens.» Ce substitut à la cour d'appel de Douai ne cache pas l'amertume de certains magistrats de son tribunal. «Régulièrement, les justiciables ou les avocats nous renvoient Outreau. Pour expliquer qu'un aveu n'est pas une preuve, que la justice se trompe. Ou, de plus en plus souvent, pour se plaindre qu'ils n'ont pas droit, eux, à une indemnisation de plusieurs centaines d'euros...»

Alors que l'inspection judiciaire et les députés de la mission parlementaire créée cette semaine s'apprêtent à auditionner les acteurs de ce procès hors norme, les langues commencent à se délier. De nombreux magistrats expriment leurs difficultés devant les tensions qu'ont générées l'affaire Outreau et ses retentissements politiques. «La semaine dernière, la commission d'indemnisation s'est mal passée», lâche un magistrat du Nord. Les négociations financières directes entre la chancellerie et les acquittés d'Outreau ont fait des envieux.

Des chiffres surestimés

En principe, les victimes de la détention provisoire peuvent demander réparation à l'Etat, en s'adressant au premier président de la cour d'appel, en charge des commissions d'indemnisation, dans les six mois après un non lieu, une relaxe ou un acquittement. Depuis 2000, date de l'instauration de ces commissions, les demandes ne cessent de croître. Le nombre de dossiers portés, en appel, devant la Cour de cassation a augmenté de 50% entre 2004 et 2005. Les montants des indemnisations sont également plutôt à la hausse.

L'«effet Outreau» se fait déjà sentir. «Après le procès de Saint-Omer, explique un conseiller référendaire de la Cour, les avocats se sont mis à présenter des demandes de plus en plus importantes, invoquant les indemnisations perçues par les premiers acquittés... et citant des chiffres certainement surestimés.» L'accord négocié avec les acquittés d'Outreau comprend une clause de confidentialité, mais le montant de la provision versée – 100 000 euros – a filtré. Ce chiffre a aiguisé les appétits. Les montants octroyés par les commissions d'indemnisation, et même par la Cour de cassation, en général plus généreuse, restent en effet largement inférieurs aux sommes évoquées dans le dossier d'Outreau.

Les indemnisations visent cependant une réparation intégrale du préjudice, à travers une estimation du préjudice moral et du préjudice matériel (salaires non perçus, etc.) subis. Proportionnellement, une détention provisoire courte est plutôt mieux indemnisée qu'un emprisonnement plus long car le choc psychologique de la mise en détention est pris en compte. «Pour pouvoir effectuer des comparaisons valables, nous avons demandé aux services de la chancellerie ses critères dans l'affaire d'Outreau, mais le secret nous a été opposé», se plaint un membre de la haute juridiction.

Préjudice moral

A titre d'exemples, une personne incarcérée près de vingt-neuf mois – mais affichant un important passé carcéral – s'est vu allouer 33 000 euros par la cour d'appel de Versailles en 2004. Un autre, détenu quarante-deux jours, a bénéficié de 5 500 euros à Aix-en-Provence la même année.

Plusieurs plaignants ont donc tiré leurs conclusions de cette situation, et ont décidé de tenter eux aussi directement leur chance auprès du ministère de la Justice. C'est le cas d'André Kaas, accusé de l'assassinat de sa femme et détenu pendant trois ans avant de bénéficier d'un non-lieu. La cour d'appel de Rouen a alloué 70 000 euros à cet ancien riche promoteur immobilier, au titre du préjudice moral, mais ne lui a reconnu aucun préjudice matériel. André Kaas, qui affirme avoir dû brader ses biens depuis sa cellule pour pourvoir aux besoins de ses enfants et assurer sa défense, s'est pourvu en cassation. Mais son avocat, Eric Dupond-Moretti – qui est aussi l'un des avocats de l'affaire d'Outreau –, a tenté d'engager des négociations directes avec la chancellerie, estimant que l'affaire est, elle aussi, exceptionnelle...
Posted 19 years, 11 months ago on December 21, 2005
The trackback url for this post is http://justice.cloppy.net/b.blog/bblog/trackback.php/337/

Add Comment

( to reply to a comment, click the reply link next to the comment )

 
Comment Title
 
Your Name:
 
Email Address:
Make Public?
 
Website:
Make Public?
 
Comment:

Allowed XHTML tags : a, b, i, strong, code, acrynom, blockquote, abbr. Linebreaks will be converted automatically.

 
Captcha:
captcha image

Please type the content of the above image into the following form-field.