December 21, 2005
L'affaire Sentier II
Libération, no. 7620
SOCIETE, mardi 8 novembre 2005, p. 19
Arrestation du cerveau de l'affaire Sentier II
Philippe Besadoux, que l'on croyait en cavale en Israël, a été incarcéré à Prague.
LECADRE Renaud
Le cerveau présumé de l'affaire Sentier II, Philippe Besadoux, a été incarcéré la semaine dernière en République tchèque. On le pensait en cavale en Israël. Sous le coup d'un mandat d'arrêt international lancé en mai 2003 par la justice française, il s'est fait arrêter à Prague, sous l'identité de Harry Mervyn, avec dans sa poche un billet d'avion pour Tel-Aviv, selon TV Nova, la chaîne locale.
Sentier II est la suite judiciaire de la première affaire du Sentier (une centaine de commerçants dans le secteur du textile condamnés en 2002 pour fausses traites bancaires). Outre l'élargissement des secteurs d'activité (cuir, intérim, transport...), le nouveau dossier a mis cette fois en cause les banques, comme complices d'un circuit de blanchiment portant sur un milliard de francs : le nom des bénéficiaires de chèques douteux ou volés était modifié en Israël avant de revenir en France au profit de petits malins sachant surfer entre les différentes législations bancaires.
Huit banques (dont la Société générale, la Bred et American Express) sont poursuivies comme personnes morales. Une trentaine de banquiers (dont Daniel Bouton, PDG de la Société générale) sont poursuivis à titre personnel. Mais aussi six rabbins, l'affaire mettant en cause une utilisation dévoyée de la tradition de collecte au sein de la diaspora juive. Pour mieux attirer les dons à vocation caritative, les héritiers du rabbin Elie Rotneimer, fondateur du Refuge, avaient mis en place une nébuleuse associative (centres de formation, maisons de retraite...) par laquelle ont transité 450 millions de francs, une partie des dons (jusqu'à la moitié) étant rétrocédée en liquide, au noir, aux donateurs.
Philippe Besadoux, à la tête de la Compagnie européenne de textile (CET), aurait à lui seul recyclé plus de 100 millions de francs, en trompant la vigilance du Crédit Lyonnais, de la Bred et de La Poste sous une fausse identité.
L'arrestation intervient au moment où la juge d'instruction Xavière Simeoni vient de clôturer son dossier tentaculaire (142 mises en examen au total). Il devrait vraisemblablement être rouvert, après extradition en France de Philippe Besadoux.
Libération, no. 7153
SOCIETE, mercredi 12 mai 2004, p. 15
Sentier: six rabbins qui sentent le soufre
Renvoi devant la cour correctionnelle des religieux français accusés de blanchiment.
LECADRE Renaud
Six rabbins français, dont deux en fuite à l'étranger, sont renvoyés en correctionnelle pour blanchiment. On reproche à ces religieux, de tendance loubavitch, d'avoir dévoyé la tradition de collecte au sein de la communauté juive. Pour appâter les donateurs, des associations réputées caritatives proposaient un retour en liquide pouvant aller jusqu'à 50 % des «rétro-dons», selon l'expression du parquet. Un argument décisif pour draguer certains commerçants adeptes de l'économie au noir. La chambre de l'instruction, qui vient d'examiner pendant deux jours l'affaire du Sentier II (Libération d'hier et d'avant-hier), doit décider si ces rabbins (plus d'une vingtaine de responsables associatifs) seront jugés séparément ou conjointement avec la centaine d'autres mis en examen dans ce dossier tentaculaire.
A l'origine, le rabbin Elie Rotnemer, fondateur du Refuge, organisme collecteur du 1 % logement. Après sa mort en 1994, à la veille d'un scandale financier, ses héritiers ont amplifié et diversifié ses méthodes de collectes au profit d'une nébuleuse de 150 associations (écoles privées, maisons de retraite...) domiciliées en Seine-et-Marne et à Paris dans le XIXe, les deux centres névralgiques des loubavitchs : sur cinq ans (de 1997 à 2001), elles ont brassé 450 millions de francs. La plupart des mis en examen sont des anciens du Refuge. Notamment Joseph Rotnemer, nouveau patriarche familial, et le rabbin Jacques Schvarcz, tous deux en fuite en Israël.
Enveloppes. Le «dévoiement progressif du système associatif fondé à l'origine sur un principe de solidarité communautaire», ainsi qualifié par le parquet, a fait un détour par Mulhouse en 1997, où un réseau profane mis en place par Georges Tuil (en fuite) a le premier utilisé la possibilité d'endosser des chèques en Israël contre remise d'espèces. Comme l'a confessé un de ses lieutenants, «pour faire partir les chèques et récupérer les espèces, il fallait trouver des porteurs». L'idée était de confier les enveloppes à des religieux, peu susceptibles de se faire fouiller à l'aéroport. Joseph Rotnemer ne s'est pas contenté de porter pour Georges Tuil, il a mis en place son propre circuit de blanchiment. Car, au même moment, les donateurs commencent à rechigner. Plusieurs commerçants affirment que des religieux leur ont alors proposé un retour en espèces de plus en plus conséquent. Dont le niveau dépendait par exemple, chez un rabbin, «de ce qu'il avait dans sa mallette».
Un rabbin poursuivi rejette au contraire la faute sur «les vautours des entreprises». Le fils d'un rabbin en fuite met tout le monde d'accord en distinguant les «donateurs casher qu'il faut relancer sans arrêt», des «donateurs pas casher intéressés par les espèces». Le principal collecteur de fonds exagère peut-être quand il assène aux enquêteurs : «Je risque ma vie et celle de ma famille, car celui qui dénonce son prochain est condamné à mort par la communauté. J'arrête de parler.» A l'Essec, qui a fini par rompre tout lien avec la galaxie Rotnemer car l'école de commerce en avait assez de devoir lui rétrocéder 50 % de la taxe d'apprentissage collectée, on assure que le grand rabbin Sitruk serait alors intervenu pour maintenir le flux financier. Interrogé, Sitruk a formellement démenti.
Taxis. L'absence de comptabilité dans ces associations, souvent de simples «taxis», a été source de toutes les combines. En plus des rétro-dons, le parquet estime que près de 30 millions de francs «ont bénéficié à des intérêts privés, dévoyant le caractère non lucratif affiché». Joseph Rotnemer a un jour téléphoné à sa secrétaire en France pour virer des fonds en Hongrie afin de racheter des stations-service...
Posted 20 years, 2 months ago on December 21, 2005
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La Société Générale a riposté mardi à la mise en examen pour «blanchiment aggravé» de son PDG, Daniel Bouton, et de deux autres de ses dirigeants, survenue lundi soir. Ainsi, selon un communiqué diffusé mardi par la banque, «aucun élément du dossier ne laisse supposer qu’un collaborateur ou un service de la banque ait sciemment commis une action de blanchiment». Au sein du staff de la SG, une association regroupant 3500 cadres a exprimé son «incompréhension» et son «indignation» devant ces poursuites judiciaires. Mais au-delà, c’est toute la profession qui fait corps autour de Daniel Bouton. Ainsi, Michel Pébereau, PDG de BNP-Paribas, s’est déclaré certain que ses pairs n’étaient pas coupable.
Au centre de l’affaire, en effet, il y a le traitement de certains chèques présentés par des banques étrangères, en majorité israéliennes, pour encaissement auprès de certaines banques française, dont la Société Générale mais aussi la BRED et American Express Bank France. Les établissements français sont accusés de ne pas avoir procédé aux contrôles préalables rendus obligatoires par la loi, et d’avoir de ce fait couvert un circuit de blanchiment d’argent sale. Négligence ou malveillance, ce scandale inquiète les milieux bancaires qui, à l’instar d’Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, redoutent une excessive pénalisation de leur métier et demandent que la loi précise davantage leurs obligations. François Patriat, Secrétaire d’Etat à la consommation et au commerce, a d’ailleurs abondé mardi en ce sens, assurant qu’il fallait «donner aux banques des directives claires et voir ce qui leur est techniquement possible de faire».