December 22, 2005

Rumeurs et illusions


« De temps en temps,
      une femme est un substitut convenable a la masturbation.
    Mais bien sur, il faut beaucoup d'imagination. »
         Karl Kraus (1874-1936)


Le Monde diplomatique, le 8 août 2005
Un appel à résister
Karl Kraus, contre l’empire de la bêtise
Par Alain Accardo, extraits :

[...] Une démarche dont on pourrait dire qu’elle est d’inspiration krausienne consisterait à dénoncer le règne du faux-semblant généralisé dans lequel sont installées les puissances occidentales. Contrairement aux apparences, ce monde « développé » moderne ne connaît ni la paix, ni la prospérité, ni la liberté pour tous, sinon en trompe-l’œil comme privilèges de minorités dominantes, masquant une réalité fondamentalement faite de violence, d’inégalité et d’oppression. La barbarie moderne n’a pas diminué, mais elle a appris à se farder davantage.

Kraus ne s’attaquait pas à une idée métaphysique de la bêtise, mais à ses manifestations et incarnations concrètes dans la société de son temps. En démontant ses multiples formes environnantes, il en dégageait des aspects essentiels, parfaitement reconnaissables à notre époque encore, dont le trait commun est l’incapacité d’analyser rationnellement la réalité et d’en tirer les conséquences.

La doctrine hitlérienne, par exemple, était pour Kraus un fatras d’insanités idéologiques et de mensonges éhontés qui n’auraient su résister à un examen de la saine raison.

Mais ce qui rendait ce délire irrésistible, dans l’Allemagne des années 1930, c’est que les nazis étaient passés maîtres dans l’art de soumettre l’intellect aux affects, de rationaliser des émotions viscérales, de « faire passer la bêtise, qui a remplacé la raison, pour de la raison, de transformer l’impair en effet, bref dans ce que l’on appelait autrefois : abrutir ». Cette entreprise de « crétinisation caractérisée », commente de son côté jacques Bouveresse, a eu pour résultat de faire « perdre tout sens de la réalité, aussi bien naturelle que morale », aux individus soumis en permanence au pilonnage de la propagande.


Se prostituer à l’ordre établi

Parmi les différentes catégories intellectuelles qui, de plus ou moins bonne foi, se complaisaient à prendre la nuit pour le jour, et travaillaient à croire et à faire croire que l’ordre nouveau nazi était, sinon toujours absolument irréprochable, du moins contrôlable, amendable, et donc acceptable, il y en avait deux en particulier qui fournissaient une cible de choix à Kraus : les partisans de la social-démocratie et les journalistes, chez qui cécité et surdité au réel composent une forme de bêtise proche de l’autisme.

De là, on peut rebondir vers Bouveresse et tomber sur Froissard:

« Étudier la rumeur pour elle-même, comme si elle était une entité communicationnelle autonome, c’est croire ou faire croire à des schémas de communication qui n’existent pas. La société moderne est désormais sous l’emprise des médias, eux-mêmes interdépendants, et la rumeur ne bouscule en rien la logique du système […] », insiste Pascal Froissart, illustrant son discours par l’« affaire des additifs alimentaires » qu’un tiers des personnes informées avait lue avant de l’entendre ou d’en parler (pp. 105-107). Ceci entraînant cela, l’auteur invalide le cliché de la rumeur populaire en établissant que les classes aisées et informées (par les médias) connaissent davantage de rumeurs et sont plus crédules que les classes moyennes, ouvrières ou agricoles.

... le livre - La rumeur. Histoire et fantasme - constitue un remarquable document heuristique pour des théoriciens en mal de distanciation critique face aux discours et aux pratiques scientifiques et journalistiques.

Voir pascalfroissart.online.fr. Pour plus de détails, voir aussi le collectif et les travaux de Françoise Reumaux ; dans ce collectif, des contributions dégagent les capacités discursives, réalistes ou innovantes du phénomène et d’autres approches relient la rumeur à une perte d’autonomie ou, sur les traces du mythe, la relèguent dans les apories d’un secret non partageable.


Qui est Schmock ?
Une précédente analyse de A. Accardo.

Posted 20 years, 2 months ago on December 22, 2005
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