April 3, 2006

Témoignage

Soixante ans après la "libération" des camps d’extermination, la Shoah continue de faire souffrir. Fragilisés, les descendants de rescapés ont intégré la douleur des parents, exprimée ou gardée sous silence. Et ils sont eux aussi victimes du "syndrome du survivant". Identifié dans les années 1960 par le psychanalyste américain William Guglielmo Niederland, ce syndrome exprime la culpabilité d’avoir survécu quand tant d’autres ont été assassinés. Il se manifeste par une série de maux caractéristiques : anxiété, troubles cognitifs, de la mémoire, état dépressif chronique, tendance à l’isolement, au retrait et au renfermement mélancolique, altération de l’identité personnelle, affections psychosomatiques…

Nathalie Zajde est psychologue clinicienne et ethnopsychiatre, auteur d’Enfants de survivants, l’une des études les plus remarquables sur l’héritage traumatique de la Shoah (Odile Jacob, 1995). Comment comprendre, s’interroge-t-elle, que les enfants des rescapés fassent les mêmes rêves et présentent les mêmes symptômes que leurs parents alors que ceux-ci, bien souvent, ont gardé le silence sur ce qu’ils avaient vécu ? Probablement parce que cette transmission s’effectue de manière inconsciente, à l’insu même des protagonistes, autrement que par des mots. Une transmission qui passe à travers les paroles et les gestes apparemment anodins de la vie quotidienne.


Je n’ai jamais parlé à mes enfants parce que, bêtement, j’ai refusé de les impliquer dans mon destin. Je ne me rendais pas compte que mon destin, c’était le leur. Je ne voulais pas qu’ils souffrent de mon histoire. Et j’avais bien tort. Même si je ne leur ai rien dit, ils ont perçu toutes mes angoisses. Ils sont d’ailleurs tous très anxieux, quelque part ils ne sont pas bien dans leurs pompes.

En psychanalyse, on dit que les enfants doivent “tuer le père” pour devenir eux-mêmes adultes. Est-ce que des enfants de rescapés, nés après la guerre, peuvent “tuer le père” sans s’identifier eux-mêmes au bourreau qui a failli le tuer vraiment, le père ? C’est une sacrée question.

Ce qui est sûr, c’est que, curieusement, je suis devenu l’enfant de mes quatre enfants. Ils s’inquiètent pour moi comme s’ils étaient devenus mes parents. C’est confortable sous certains aspects, irritant sous d’autres. Par exemple, ils ne me disent jamais quand ils ne vont pas bien. Ils le disent à leur mère, mais pas à moi. Parce qu’ils veulent me préserver absolument.


Sam, rescapé d’Auschwitz, va depuis 20 ansdans les écoles pour raconter la Soah. Mais il a gardé le silence avec Françoise, sa fille aînée,et avec Malka, qui elle, en a tiré de la force.
« Je suis devenu l’enfant de mes enfants »
Sam Braun, 77 ans. Déporté à Auschwitz en 1943 avec ses parents et sa petite sœur, il est le seul à en être revenu.

Psychologies, La Shoah en héritage
Olivia Benhamou, mars 2005
Posted 19 years, 10 months ago on April 3, 2006
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