April 26, 2006

L'éducateur plaide «le merveilleux»


Douze ans de prison en appel pour l'ex-éducateur Robert Mégel
Un verdict plus sévère qu'en première instance. Ses avocats n'ont pas réussi à instiller le doute chez les jurés sur la véracité des viols.
Libération, le 13 mai 2006

Pression. Les plaidoiries intenses et brillantes de Mes Florand et Senyk, défenseurs de Mégel, n'auront pas réussi à instiller le doute dans l'esprit des jurés. Difficile d'effacer le fait que Robert Mégel s'est comporté comme un coupable dès que Jérôme l'a dénoncé, un soir d'avril 1997 : pression sur le gamin et sa mère ; constitution d'un dossier pour montrer que l'accusateur serait un menteur pathologique ; destruction de cahiers qui auraient pu indiquer que Jérôme se retrouvait seul, tard le soir, à l'appartement du directeur...

«Panzerdivision». Compliqué de dissiper la désagréable impression qu'aucun membre de l'équipe n'a joué son rôle. Bien au contraire, puisqu'ils ont immédiatement pris fait et cause pour Robert Mégel. A la barre, les uns et les autres sont venus répéter qu'ils n'avaient jamais douté de l'innocence du patron des Tournelles. Alors qu'ils en avaient l'obligation professionnelle. «Une véritable panzerdivision, ces témoins tellement bien préparés qu'ils répondent aux questions avant qu'elles leur soient posées», a raillé Me Roland Poynard, avocat de Jérôme. «Des valets», a renchéri l'avocat général.


L’accusateur de Robert Mégel peut-il avoir menti ?
Delphine Chayet
11 mai 2006, (Le Figaro, Rubrique France)

Chef du service éducatif, il fut l’un des premiers à recueillir, un soir d’avril 1997, la confession du jeune pensionnaire. « J’ai été touché par son authenticité et frappé par le détail des lieux et des dates, se souvient-il. Mais je savais aussi avec quel aplomb Jérôme pouvait mentir. »

Alors, quand l’adolescent se rétracte en public, après un bref entretien avec son directeur, Jean-Jacques Lacote choisit finalement de protéger l’institution.

Les adultes présents ce soir-là consignent aussitôt par écrit les « rétractations » du garçon et un vol d’argent, commis le jour même, dans la caisse du groupe. La lettre est envoyée au procureur de la République. Bientôt, de vieux forfaits remontent aussi à la surface. Agnès Guizzardi, l’éducatrice spécialisée chargée du groupe des petits, se souvient avoir reçu « des coups de fil obscènes », passés par Jérôme, croit-elle. Elle produit une attestation. Nicolas Ovigny, membre du conseil d’administration des Tournelles, prend sa plume pour retracer la scolarité chaotique du jeune accusateur, tandis que Jean-Jacques Lacote couche sur le papier un vol de chaussures commis deux ans plus tôt. Son document est antidaté.

« Je voulais montrer ce que cet enfant était capable de faire. Lorsqu’on est attaqué, il faut se défendre », répond l’éducatrice spécialisée au président Dominique Coujard, qui s’étonne de la quantité « inhabituelle » d’attestations versées au dossier.

Robert Mégel, ex-directeur du centre des Tournelles, jugé en appel aux assises.
L'éducateur de luxe nie les viols et plaide «le merveilleux»
par Jacqueline COIGNARD
QUOTIDIEN : mercredi 26 avril 2006


Du charisme, de l'entregent, des idées percutantes... Dans les années 80, Robert Mégel avait fait d'une association de Seine-et-Marne, les Tournelles, le nec plus utra des centres pour mineurs difficiles. Dans un manoir du XIXe siècle rénové par l'architecte Jean-Michel Wilmotte, le directeur prônait «la rééducation par le beau et le merveilleux». Il y accueillait des visiteurs de marque comme Danielle Mitterrand ou Raïssa Gorbatchev, ou plus show-biz, comme José Artur qui vint y enregistrer une émission en direct.

Depuis hier, l'ex-directeur des Tournelles, 58 ans, comparaît devant la cour d'assises d'appel de Paris. Condamné en décembre 2004 à onze ans de prison pour des viols et attouchements sur mineurs, il continue à clamer son innocence. En première instance, il s'était présenté libre, après cinq jours de détention provisoire et une très longue instruction (sept ans). Cette fois, il affronte les jurés depuis le box des détenus, la cour ayant refusé la demande de mise en liberté formulée par ses avocats pour des raisons médicales. «Il souffre d'une maladie chronique grave» qui nécessite des «traitements lourds et contraignants aux effets secondaires terribles», explique Me Nathalie Senyk, l'un de ses avocats.

Cette demande tardive est immédiatement interprétée comme une manoeuvre, par la partie civile «M. Mégel tient à ce que le procès bascule dans un autre sens dès le début», estime Me Roland Poynard, l'avocat de Jérôme N., l'accusateur principal. Si Robert Mégel a été bien traité par la justice ­ cinq jours de détention provisoire ­ c'est parce qu'en début de procédure, il a produit «un dossier falsifié pour salir Jérôme N.», mineur au moment des faits, continue Me Poynard. Tandis qu'Yves Jannier, l'avocat général, appuie sa demande de maintien en détention sur le même genre d'argument : «C'est un homme qui n'a cessé d'altérer la vérité à son avantage. Il existe un dossier construit contre sa victime, qui tente de le faire passer pour ce qu'il n'est pas.» D'emblée, l'accusation dessine le portrait d'un homme habile et manipulateur.

Dos à la salle, Robert Mégel subit la lecture de l'arrêt, accablant, qui le renvoie devant la cour. C'est en avril 1997 que les ennuis du directeur commencent. Jérôme, 17 ans, pensionnaire des Tournelles, dénonce deux ans d'abus sexuels, des masturbations et des viols, qui se seraient déroulés au centre ou lors de voyages au Maroc. Matin et soir, le directeur se fait apporter ses repas par des pensionnaires choisis. Jérôme est l'un d'eux. Aux enquêteurs, le garçon explique que le directeur l'accueillait alors en peignoir, sur son lit, devant la télévision, et comment il se mettait à le caresser. Jérôme connaît le numéro personnel du directeur (placé sur liste rouge), décrit le modèle de lubrifiant que Robert Mégel fait acheter par l'un de ses employés dans une pharmacie du coin. En juin 1997, Heddy, un autre jeune pensionnaire, dénonce des attouchements, au moment où il change d'établissement.

Nouveau dossier. Dès lors, selon l'enquête, Robert Mégel se comporte comme un coupable. L'analyse des ordinateurs montre que des documents ont été rédigés après le dépôt de plainte, pour discréditer les déclarations de Jérôme (il y apparaît comme très perturbé, avec un profil de délinquant). Des éducateurs admettent avoir participé à l'élaboration de ce nouveau dossier. Les cahiers de nuit, détaillant les allées et venues des pensionnaires, disparaissent. Même si une photocopie des feuilles les plus compromettantes finit par parvenir miraculeusement aux enquêteurs. Et ces derniers, au fil des commissions rogatoires, découvrent que d'autres victimes se sont plaintes d'abus sexuels commis par Robert Mégel, lorsqu'il travaillait comme éducateur dans d'autres établissements. Même si ces faits anciens sont couverts par la prescription (un classement sans suite date de 1973 par exemple), ils ne peuvent que donner du crédit aux accusations portées par Jérôme et Heddy, explique le juge d'instruction.

«Tout est faux ! lance Robert Mégel, dès que le président Coujard lui donne la parole. C'est une instruction à charge, unilatérale.» On n'a écouté que des gens qui lui en veulent, des incompétents ou des jaloux. On n'a pas entendu les jeunes qui lui ont écrit en prison, qui voulaient témoigner pour lui. «Aidez-moi !», s'écrie-t-il de son box. Ereintés par les inspecteurs de l'Igas qui le décrivent comme un autocrate sans réel projet pédagogique et «régnant sur un ensemble de personnes soumises et peu formées», il défend toujours sa vision. «En France, le social doit respirer la tristesse, la bouffe de collectivité et les mauvaises odeurs», continue-t-il. Or, le prix de journée, dans n'importe quel centre, est très élevé. Avec les mêmes moyens, il se vante d'avoir fait du «beau, pas pour éblouir mais pour leur montrer que ça existe».

Du beau et de l'utile. Le président Coujard remarque sa faculté à lever des fonds et même à séduire les riches vieilles dames : une généreuse «grand-mère de l'institution» lègue 35 millions de francs à l'association en 1990. «Même Victor Hugo écrit dans Les Misérables que le beau est plus utile que l'utile», cite Robert Mégel. Les voyages à Cannes, les dîners chez Ledoyen, les séjours au Club Med, les virées en boîtes... «Pourquoi les jeunes en difficulté n'y auraient pas droit ? C'est pour leur apprendre les codes de la société.» Et il revendique le parrainage de Françoise Dolto qui a soutenu les Tournelles, «jusqu'à sa mort». Selon lui, la célèbre pédopsychiatre aurait loué les murs laqués de blanc des Tournelles, «symboles de pansements de blessures affectives», et l'idée de rééducation «par le merveilleux, où on entend que la mère veille sur eux».

Dans un coin de la salle, un beau jeune homme brun le regarde sans broncher : Jérôme, 26 ans, travaille aujourd'hui dans une grande chaîne de distribution. Pendant trois semaines, plus de 80 témoins vont défiler à la barre.

PARIS (AFP) - L'un accuse avec violence et menace, l'autre raconte d'une voix contenue mais croise et recroise ses bras dans le dos: les deux anciens pensionnaires des Tournelles ont décrit mercredi les agressions sexuelles et les viols qu'ils affirment avoir subis de la part du directeur de l'établissement, Robert Mégel, dans les années 90.

Au deuxième jour de ce procès en appel devant la cour d'assises de Paris, le directeur de cet établissement pour jeunes en difficulté a fait face à ses deux accusateurs? dont les témoignages lui ont valu en première instance une condamnation à 11 ans de réclusion criminelle.

Heddy, 23 ans, est tombé dans la délinquance et, comme la première fois, il a dû être extrait de sa cellule pour témoigner. Les jambes écartées, la tête baissée, il répond par monosyllabes pour confirmer ses déclarations aux enquêteurs: à deux ou trois reprises, alors qu'il avait 12-13 ans, Robert Mégel a commencé à le carresser, sans le déshabiller, mais il s'est défendu.

Il a pourtant refusé de se porter partie civile. "Je m'en fous de cette histoire, j'ai fait une croix. J'espère juste qu'il prendra de la prison ferme", lance-t-il.

"Je n'oublierai jamais, ajoute-t-il, en criant sa "haine" de Mégel. "J'étais jeune, j'étais un petit gamin sans défense... Robert me faisait peur, il me disait qu'il avait la justice de son côté".

"Tu sais ce qu'on fait aux pointeurs en prison. Ne sors pas de ta cellule", menace-t-il en se tournant vers Mégel, incarcéré depuis sa condamnation en décembre 2004.

Principal accusateur, Jérôme, 25 ans aujourd'hui, raconte d'une voix posée les "masturbations" imposées, dit-il, par Robert Mégel lorsqu'il avait 13 ans, puis sa voix se brise pour évoquer les viols des années suivantes "jusqu'à ce que je sois assez grand, que je réfléchisse et que je prenne mes distances".

"Au début, je n'avais pas réalisé que ce n'était pas normal. Je pensais que tous les enfants devaient passer par là. Aujourd'hui, je parle ouvertement. Ce n'est pas moi qui doit avoir honte", explique-t-il.

"Je n'ai pas eu le cran de partir, d'ouvrir ma gueule", regrette-t-il, invoquant comme Heddy l'autorité de Robert Mégel aux Tournelles: "c'était lui le grand chef, le roi avec sa cour".

Comme Heddy aussi, il assure vouloir tourner la page. Pas besoin de thérapie, affirme-t-il. "J'ai une vie à faire. Faut pas que je vive avec mon passé. Je n'ai pas besoin qu'on m'aide".

Pour Robert Mégel, qui clame son innocence, Heddy ment et veut se venger parce qu'il a été exclu du centre. "Il en veut aux Tournelles, il vit ça comme une injustice", dit-il.

Quant à Jérôme, il a lancé ses accusations en 1997 "pour qu'on ne découvre pas d'autres faits qui ont été étouffés", a-t-il dénoncé, en parlant d'une "série de cambriolages". "Il a paniqué" et voulu "cimenter son statut de victime".

En revanche, Robert Mégel a dû reconnaître avoir menti aux enquêteurs lorsqu'il avait affirmé qu'un lubrifiant, précisément décrit par Jérôme, était en fait destiné à ses rapports avec Marie-Françoise Muller, gouvernante d'un hôtel à Agadir, qu'il disait être sa maîtresse lors de ses voyages au Maroc, bien qu'il soit homosexuel.

Pour la première fois à la barre, celle-ci a reconnu qu'elle n'avait "pas eu de relations sexuelles avec M. Mégel", même s'ils avaient pensé "finir leurs jours ensemble".

En garde à vue, "j'ai cru malin de dire que j'avais une sexualité normale". Voyant les policiers, "je me suis dit, tu n'as pas affaire à des sympathisants d'Act Up", s'est défendu Mégel.

Le procès doit durer jusqu'au 12 mai.

Posted 19 years, 6 months ago on April 26, 2006
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