May 6, 2006

Un système de contrôle archaïque


LE FIGARO. – Comment expliquez-vous votre mise en examen ?

Michel GAREL. – On a interprété une série de faits vaguement concordants que l'on a bien déformés pour me cibler. Et de chacun de ces faits, je suis prêt à en répondre dans le bureau du magistrat instructeur.


Vous avez pourtant avoué le vol du manuscrit 52 ?

Dans un premier temps, je n'ai rien dit devant le capitaine de police qui m'a pressé d'avouer en m'assurant que j'allais finir en prison si je niais. Or toute l'histoire de ma famille, que ce soit sous le régime tsariste, bolchevique ou vichyste, a oscillé de prison en prison avec ce leitmotiv : «N'avoue jamais.» Mais, pour rester libre, chez le juge, j'ai reconnu le vol du fameux manuscrit 52.


Les manuscrits de la BNF gardent leurs secrets
L'ex-conservateur Michel Garel a été condamné pour vol à 400 000 euros d'amende et deux ans de prison avec sursis.

par Renaud LECADRE
Libération, lundi 13 mars 2006


The New York Times, Saturday, May 6, 2006
Arts, Briefly; French Librarian Convicted
By ALAN RIDING; COMPILED BY BEN SISARIO
Published: March 14, 2006
Michel Garel, the former chief curator of manuscripts at the French National Library, has been convicted of stealing a 13th-century Hebrew manuscript and given a two-year suspended prison term and fined 400,000 euros (roughly $476,000). Mr. Garel, 57, who first admitted the theft, then later denied the charges, said he would appeal the verdict, which was announced by his lawyer late Friday. The case has proven deeply embarrassing to the library; while Mr. Garel was accused of stealing only one manuscript, at least two dozen other ancient Hebrew documents have reportedly disappeared from its collection. A confidential report leaked last year to a French newspaper said that a subsequent inventory indicated that as many as 30,000 books and 1,183 documents were missing from the library.


L'homme que la BNF enrichissait
Pour lui, ce n'était pas que de l'hébreu

Marianne, N°382 Semaine du 14 août 2004 au 20 août 2004

On le disait érudit, zélé, honnête. Pourtant, le conservateur de la BNF a dérobé des pièces uniques. Pour l'argent.

Extrait :

A la BNF, nul n'est autorisé à commenter l'événement Le président de l'établissement, Jean-Noël Jeanneney, s'en tient à une déclaration de principe, soulignant le caractère exceptionnel du vol. Mais on n'ignore pas que l'archaïsme des règles de contrôle a facilité les larcins. Le corps des conservateurs est organisé de manière hiérarchique. Tout fonctionnaire suspectant un vol en réfère à son supérieur. Avec le risque que cela suppose. Ce système, qui repose sur les fondations napoléoniennes de la fonction publique, s'est pourtant avéré efficace depuis deux siècles. Des fonctionnaires, dont le traitement n'est nullement proportionnel à la valeur des oeuvres dont ils ont la garde, ont en toutes circonstances assuré la sauvegarde du bien public, même quand il fallait cacher les trésors, en prévision d'une invasion, et, par exemple, dans les conditions rocambolesques de l'Exode et de la Débâcle.

Michel Garel avait tout de ces conservateurs zélés, animés par la double passion de leur métier et du service de l'Etat. Nul ne semblait mieux qualifié que cet érudit pour assurer la garde vigilante de textes juifs d'autant plus rares que, des autodafés de l'Inquisition aux incendies allumés par les nazis, en passant par les ravages des pogroms, les traces de l'art juif ont été systématiquement détruites. Or, Michel Garel connaissait mieux que quiconque le sens du mot sauvegarde. Son père, le Dr Georges Garel, fut l'animateur du principal réseau de sauvetage des enfants juifs, créé en 1942 par l'OEuvre de secours aux enfants (OSE). Au sein de l'association, qui s'occupe aujourd'hui d'enfants de toutes origines, et dont Michel Garel est vice-président, on est assommé par la révélation des forfaits commis à la BNF.

L'Express du 09/08/2004
Fait divers
L'énigme du «manuscrit 52»

La suite relève du grand art de la mystification: ce manuscrit soustrait au patrimoine national quitte la France tout à fait légalement. Avant de donner son autorisation à l'exportation d'un livre rare, le ministère de la Culture consulte systématiquement un expert de la BNF. En l'occurrence, puisqu'il s'agit d'un manuscrit hébraïque, l'incontournable Michel Garel... Qui s'empresse d'émettre un avis positif. Et qui, dans la foulée, se serait rendu à Londres, pentateuque sous le bras, pour le proposer à l'un de ses correspondants réguliers, un richissime collectionneur anglais. Celui-ci l'achète, de bonne foi semble-t-il, car, selon lui, toutes les estampilles rouges de la BNF portées sur le vélin ont été grattées. L'ouvrage aurait même été retaillé et amputé de près de 70 pages! Malgré ces dégradations, la transaction est conclue pour au moins 80 000 dollars.


La chute d'un conservateur en chef à la BNF, suspecté d'avoir dérobé cinq manuscrits

Article paru dans le Monde, édition du 05.08.04

C'est la vente d'une Bible du XIVe siècle qui a mis les enquêteurs sur la piste de Michel Garel, spécialiste reconnu, à la tête du fonds hébreu de la Bibliothèque nationale de France depuis 1980


Les oeuvres « perdues » de la République.

La vente à New York d'une Bible du XIVe siècle conservée à la Bibliothèque nationale de France vient relancer le scandale des vols dans les collections publiques. Sur les 100 000 oeuvres inventoriées par la commission Bady, chargée de recenser les oeuvres d'art appartenant à l'Etat, 12 500 d'entre elles se sont volatilisées.

En faisant part, dans un courrier adressé au président de la Bibliothèque nationale, de sa vive inquiétude à la suite de la découverte de vols commis dans le département des manuscrits, le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, semble vouloir aborder le problème de face. Une réflexion est prévue à la rentrée sur la mobilité des conservateurs chargés des fonds ainsi que sur la circulation des biens culturels, associant les professionnels du marché, les responsables scientifiques et les services de police et de justice.

L'affaire a démarré en 2000, lorsque des disparitions répétées de manuscrits anciens dans les réserves de la Rue de Richelieu alertèrent la direction de l'établissement public. Depuis, les enquêteurs surveillaient discrètement ses 400 employés. La vente en 2003 chez Christie's, à New York, d'une Bible du XIVe siècle a fini par les mettre sur la piste du conservateur en chef au département des manuscrits hébraïques. Michel Garel, fils de résistant, vice-président du conseil d'administration de l'OSE (OEuvre de secours aux enfants), a avoué être l'auteur de ce vol qui lui aurait rapporté la coquette somme de 300 000 euros. Mais aussi, ce qui est pire encore, de la mutilation irréversible de nombreux manuscrits des XIIIe, XIVe et XVe siècles, détériorés afin de vendre leurs enluminures.

Ce nouveau scandale souligne l'importance du « récolement », cette vaste opération de recensement des oeuvres d'art de la France, demandée en 1995 à la Cour des comptes par Alain Juppé. «C'est le premier récolement d'une telle ampleur, déclare Jean-Pierre Bady, président de la commission chargée de le mener, et il consiste à confronter les catalogues de collection à la présence matérielle des oeuvres. Le mandat devait s'étendre sur deux ans, mais, vu l'ampleur du sujet et les complications que nous avons rencontrées sur le terrain, on ne prévoit pas son achèvement avant 2007.»

(Extrait) © lefigaro.fr 14 août 2003


Pour M. Jeanneney, les pertes à la BNF sont « faibles »

Article publié le 29 Juin 2005
Par Emmanuel de Roux
Source : LE MONDE
Taille de l'article : 953 mots

Extrait : Michel Garel, conservateur en chef, est entendu le 28 juin par le juge d'instruction après la disparition de manuscrits hébraïques. LA NOUVELLE comparution, mardi 28 juin, de Michel Garel, ancien conservateur en chef à la Bibliothèque nationale de France (BNF), responsable du fonds des manuscrits hébraïques, devant un juge d'instruction parisien, Nathalie Turquey, relance l'idée que la bibliothèque française est « une passoire », que des documents précieux peuvent y être volés par ceux qui sont chargés de les conserver, et que ces trésors peuvent se retrouver sur le marché.



L'officiel du manuscrit
Justice : Michel Garel, conservateur de la BNF, jugé pour le vol d'un manuscrit hébraïque

03/03/2006
Michel Garel, 58, conservateur à la BNF, a comparu ce vendredi après midi pour "vol commis avec dégradation par personne chargée d'une mission de service public".

Ce responsable du fonds des manuscrits hébraïques et spécialiste mondialement estimé, avait été arrêté fin juillet 2004 alors qu'il était soupçonné du vol du Manuscrit 52, c'est à dire un manuscrit hébraïque médiéval unique, d'une valeur inestimable, comprenant le Pentateuque (les cinq premiers livres de la Bible) et plusieurs textes sacrés tels que L'Ecclésiaste ou les Lamentations.

A l'époque, il avait reconnu le vol pour lequel il venait d'être arrêté. Depuis, Michel Garel est revenu sur ses aveux, arguant du fait qu'il s'était "confessé" sous la pression des enquêteurs, afin d'échapper à la détention provisoire, ainsi que pour disculper sa femme, spécialiste des manuscrits coptes et chercheuse au CNRS également mise en cause en même temps que lui.

Le 52 avait été vendu à un collectionneur britannique, David Sofer, après avoir reçu l'autorisation de sortie du territoire du ministère de la culture en bonne et due forme (grâce à la signature d'un expert : Michel Garel en personne...). David Sofer, mettait en vente aux enchères en 2000, chez Chritie's à Londres, le manuscrit 52, amputé d'une soixantaine de feuillets et retaillé pour masquer le grattage des estampilles apposées par la BNF ; il est vendu 300 000 euros.

Certains collègues du conservateur, qui le soutiennent, estiment qu'il est peu probable que les experts de chez Chritie's n'aient pas authentifié le manuscrit. L'avocat de Michel Garel, Lef Forster pose la question de savoir pourquoi son client aurait-il laissé des traces aussi évidentes ? Michel Garel, pour sa part, affirme que c'est Edmond Safra, un banquier milliardaire mort dans des conditions mystérieuses à Monaco, qui lui aurait demandé de signer l'autorisation... Par ailleurs, une universitaire isralëlienne affirme que Michel Garel lui aurait avoué le vol. La BNF de son côté, estime qu'il n'y a "aucun doute" sur la culpabilité du conservateur.

C'est un dossier quelque peu embrouillé qu'aura dû démêler le président du tribunal correctionnel de Paris cet après-midi...

Affaire à suivre.

A la recherche des tomes perdus de la BNF
Mise en examen d'un conservateur en chef de la Bibliothèque nationale de France, soupçonné de vols.

par Jacqueline COIGNARD
Libération, samedi 31 juillet 2004

Des feuillets, des chapitres, et parfois des ouvrages entiers se sont évanouis du fonds hébreu, à la Bibliothèque nationale de France (BNF). «Plusieurs dizaines d'ouvrages ont été amputés, ou ont disparu en totalité», explique une source proche de l'enquête. «Une centaine de documents», précise-t-on au parquet de Paris. Le responsable de ces mutilations et pillages pourrait être la personne chargée de veiller sur le trésor : le conservateur en chef du département.

Lettre anonyme. L'enquête ouverte discrètement en mars a débouché jeudi sur l'arrestation et le placement en garde à vue de cet homme, 56 ans, entré à la BNF en 1976 et responsable du fonds hébreu depuis 1980. Jusqu'à sa présentation au juge d'instruction Nathalie Turquey, vendredi après-midi, Michel Garel niait toute implication dans les vols. Chez le juge, il a reconnu l'un des faits qui lui sont reprochés : avoir établi un faux certificat pour la vente, chez Christie's, de la quasi-totalité d'un ouvrage. Il y attestait que cette pièce n'avait pas d'origine frauduleuse et pouvait faire l'objet d'une transaction. Cette vente, réalisée en 2000, a rapporté 300 000 dollars. Mis en examen pour «vol aggravé», Michel Garel a été laissé en liberté sous contrôle judiciaire. Sa femme, elle, a été mise en examen pour recel, car le couple aurait acheté un appartement avec le produit de cette transaction.

A la BNF, le malaise était palpable vendredi. La confrérie des conservateurs ­ un corps de 1 800 membres, dont 400 travaillent dans ce seul établissement ­ est bouleversée d'apprendre qu'un des siens est soupçonné de tels actes. Un vrai sacrilège. Pourtant, des disparitions sont constatées depuis des années dans les collections ; des plaintes ont été régulièrement déposées. En 2000 et 2002, notamment. «Mais elles n'avaient pas débouché, commente Jean-Noël Jeanneney, président de la BNF depuis mars 2002. Peut-être que, dans l'histoire de la bibliothèque, il est arrivé qu'on préfère ne pas trop parler de telles affaires.»

C'est une lettre anonyme, parvenue à la direction de la bibliothèque en février, qui a relancé la machine judiciaire. Et, cette fois, la collaboration de la direction de l'établissement à l'enquête semble pleine et entière. Comme l'est sa volonté de ne pas taire l'événement. Des inventaires ­ des «récolements» ­ ont été refaits avec précision : on confronte les catalogues aux ouvrages physiques. «L'enquête porte sur toutes les disparitions constatées depuis 1991. Le chiffre est impressionnant, incompatible avec l'hypothèse de chercheurs isolés qui auraient volé au fil des consultations», explique-t-on. D'autant que les chercheurs ne peuvent retirer qu'un ouvrage à la fois, sous haute surveillance, en laissant trace de leur passage.

«Les vols ont apparemment cessé en 1998, au moment du transfert des ouvrages imprimés dans les nouveaux locaux de la bibliothèque François-Mitterrand», poursuit la même source. Michel Garel, lui, est resté dans les anciens locaux de la BNF, rue de Richelieu (IIe arrondissement), avec le fonds de manuscrits hébreux dont il avait la garde.

Grande imprécision. Constitué depuis le XIVe siècle, par la volonté du roi Charles V le Sage, ce fonds, considéré comme l'un des plus riches au monde, compte 1 480 ouvrages. De toutes provenances : Yémen, Byzance, Afrique du Nord, Europe centrale, France, Angleterre, Allemagne... Dans un catalogue sur les collections orientales de la BNF, Michel Garel détaillait récemment l'éventail des matières abordées dans ces ouvrages : «Bible et commentaires, Talmud et droits civils et religieux, théologie, kabbale, philosophie, sciences et médecine, grammaire, histoire, poésie... Sans parler des documents d'archives que sont les actes de mariages.»

Les livres imprimés en hébreu ­ transférés à Tolbiac ­ ne sont pas classés par langue mais par thèmes : bibles, grammaires... D'où une plus grande imprécision sur leur nombre. Geneviève Guilleminot, adjointe au directeur de la réserve des livres rares, évolue au milieu de ces incunables, ouvrages de luxe imprimés sur vélin, parfois enluminés, ou éditions originales. «La thèse de Marie Curie, c'est un livre rare que nous conservons ici», dit-elle.

Ambiance fraîche, feutrée, studieuse. Dans la salle de lecture, des chercheurs arrivent du monde entier ; chacun doit étayer sa demande de consultation. Pour faire sortir l'édition originale de la première bible imprimée par Gutenberg, il faut une bonne raison, au moins que l'objet de la recherche ait à voir avec la qualité du papier employé... Dans la pénombre de la réserve, Geneviève Guilleminot sort un traité de médecine en hébreu, imprimé à Naples en 1491. L'objet se consulte posé sur futon : pas question d'abîmer la reliure. Celui-là, un pentateuque, a été imprimé à Venise, début XVIe. Une mention montre qu'il a appartenu à un couvent de Capucins. «Il a été confisqué à la Révolution. Une grande partie de nos collections vient des couvents», indique la conservatrice. Un autre, fragment de la Torah, a été imprimé à Constantinople en 1505. «C'est l'un des tout premiers ouvrages imprimés à Constantinople, sans doute par des Juifs espagnols passés par là.» Et puis il y a des ouvrages hybrides : texte en hébreu sur la page de droite, traduction en latin sur celle de gauche, comme cette grammaire imprimée à Bâle en 1551. «C'était à un moment où les chrétiens du XVIe siècle redécouvraient les langues anciennes, et cherchaient à apprendre le grec et l'hébreu», explique la spécialiste.

Eléments à charge. La maîtresse des lieux n'a guère envie de s'épancher sur l'affaire du jour. Tout juste concède-t-elle que le marché des livres a connu un regain d'intérêt ces dernières années ; que même les bibliothèques ont du mal à suivre et sont contraintes à limiter leurs acquisitions. Les enquêteurs, eux, ont amarré l'affaire sur cette transaction chez Christie's, en 2000, qui leur offre un certain nombre d'éléments à charge. Pour le reste de la liste des vols, l'enquête se poursuit. Dans la petite équipe du fonds hébreu, qui se compte sur les doigts de la main, personne d'autre n'a été inquiété.

Jean-Noël Jeanneney se dit soucieux de la sécurité des collections 30 millions de pièces à surveiller ­ et va multiplier les inventaires : «Tous les grands établissements sont concernés par le sujet : la bibliothèque de Cambridge a connu les mêmes mésaventures récemment.»

Posted 19 years, 9 months ago on May 6, 2006
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