May 12, 2006

Mais qu'est ce que l'impartialité ?

Conférence de M. Jean GERONIMI lors de la session de formation
"la place de la justice dans les sociétés démocratiques" (2 - 5 Novembre 1999)

Intervention du 4 novembre 1999 à l'École Nationale de la Magistrature

Extraits :

Sujet vaste, certes, mais aussi important, en raison du principe qui est en jeu et de l'actualité dont il est l'objet.

Si vous avez lu "Le Monde" de jeudi dernier vous avez constaté, comme moi, qu'une partie du Congrès appelé à modifier la Constitution sur la composition et les attributions du Conseil Supérieur de la Magistrature en vue d'accroître l'indépendance des magistrats, entend subordonner son vote à la mise en place d'un régime organisant une véritable responsabilité des juges. Ce ne sont pas les évènements du début de cette semaine qui auront modifié cette intention et je suis persuadé que nous ne sommes pas les seuls, ce matin à débattre de la question.

Le juge rassure les uns, mais fait peur aux autres qui constatent, exemples à l'appui, qu'il peut ruiner une vie en commettant une erreur qui n'aura pour lui-même aucune conséquence. II va, par exemple, sanctionner par la prison, parfois préventive, la négligence ou l'inattention qui ont causé un accident, mais sa propre inattention dans la même procédure ne lui vaudra aucun ennui, alors pourtant qu'elle est de même nature.

Certes, ce sont les "affaires" impliquant la classe politique, et, tout particulièrement les mises en examen de personnalités prononcées par les juges d'instruction et assorties parfois d'une mise en détention provisoire, qui sont à l'origine du débat et de sa tournure polémique. L'accusation d'irresponsabilité n'est donc pas neutre. Il reste que la question est posée, qu'elle ne peut être, ni traitée par le mépris, ni même ignorée, et que les magistrats ont le devoir de l'affronter dans une réflexion empreinte de sérénité et exempte de corporatisme.


...

Si je ne pouvais disposer que d'un seul mot je dirai que l'impartialité c'est la neutralité ; mais un homme - et fort heureusement la justice est rendue par les hommes - peut-il véritablement prétendre à la neutralité alors qu'il est conditionné par son passé, par son environnement, par ses convictions ? Plus réaliste apparaît l'analyse d'Anne-Marie FRISON-ROCHE, professeur de droit à l'université Paris-Dauphine, pour qui l'impartialité c'est "l'aptitude - et j'ajouterai, la volonté - du juge à être convaincu d'un fait par un argument, une interprétation juridique qu'on va lui proposer". L'impartialité, c'est le refus du préjugé, ce qu'elle interdit, "ce n'est pas d'aborder le débat avec une opinion, c'est de ne pas vouloir en changer, c'est d'être, dès le départ, hors de portée du débat".

Ainsi définie, l'impartialité renvoie au for intérieur et à la conscience du magistrat, mais peut-on reprocher au justiciable qu'il hésite à s'en remettre aveuglément à la conscience de son juge ? Assurément non, et c'est pourquoi le législateur, aussi bien français qu'européen, exige, pour garantir autant qu'il se peut l'impartialité du juge, que celui-ci observe, dans sa démarche décisionnelle, un certain nombre de règles qui définissent les incompatibilités, le caractère contradictoire du débat, et, surtout, la motivation des jugements et des décisions de classement sans suite.

La motivation est l'une des plus importantes obligations faites au juge pour démontrer son impartialité. Elle l'oblige à donner la preuve, par la retranscription des arguments échangés, qu'il a été à l'écoute des parties et qu'il n'a pas occulté une partie du débat susceptible de déranger son a priori. La motivation contraint le juge à se justifier, ce qui évite qu'il donne libre cours à ses préjugés. Elle oblige à l'impartialité. Les parties au procès, mais aussi les tiers, peuvent s'assurer de la pertinence de la décision au regard des arguments échangés.

De l'ensemble de ces règles il résulte que, pour reprendre l'excellente formule d'Anne-Marie FRISON-ROCHE, "l'impartialité doit se donner à voir". Si elle n'est pas visible alors le doute pourra s'installer qui tuera la confiance. Cette nécessité des apparences, que rappelle de plus en plus la Cour Européenne des Droits de l'Homme, doit être la préoccupation constante de tout magistrat. Chaque juge, chaque procureur doit se poser cette question : je me sens juste, mais est ce que mon comportement, hors du débat ou dans le débat, ne conduis pas à douter que je le suis ?

En conclusion de ce qui vient d'être dit je pense qu'il serait inexact d'affirmer que, dans son action, le magistrat est exempté de toute responsabilité. Le système, en tout cas, le conduit à faire preuve de responsabilité. Mais s'il y manque quelles en sont les conséquences pour lui comme pour le justiciable ?

Posted 19 years, 9 months ago on May 12, 2006
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