May 28, 2006

Le parquet, le procureur, l'avocat général, l'instruction

Du blog de Maître Eolas :

Le parquet, qui déclenche les poursuites et soutient l'accusation, est une structure hiérarchisée. Chaque tribunal de grande instance a son parquet, dirigée par le procureur de la République, assisté de substituts. Dans les gros tribunaux, on distingue les premiers substituts, à l'ancienneté plus grande et aux responsabilités plus importantes. Il en va de même devant les cours d'appel, sauf que le chef du parquet est le procureur général est est assisté de substituts généraux et d'avocats généraux. Les substituts généraux ont des taches plus administratives (comprendre : on les voit pas ou peu aux audiences, mais leurs tâches restent bien judiciaires) tandis que les avocats généraux sont en charge d'assurer les audiences. Avocat général rappelle qu'ils sont les avocats de la société en général, par opposition à nous autres qui sommes les avocats des individus que la collectivité a décidé de poursuivre.

Serge Portelli, vice-président du tribunal de grande instance de Paris, réagit au fiasco judiciaire de l'affaire d'Outreau.

Le magistrat doit avant tout être un garant des libertés. On ne devrait pas seulement former les magistrats à ouvrir un code et prononcer des réquisitions mais à respecter les libertés. A commencer par la présomption d'innocence. A Outreau, tout cela a été oublié. Les premières application de la présomption d'innocence devraient être une utilisation modérée de la détention provisoire et l'esprit de doute. A Outreau, nous étions à des années lumières de cette culture du doute qui doit habiter avant tout les magistrats pénalistes.

Actuellement, lorsqu'un collègue prend une décision, au lieu de le contrôler, les autres magistrats sont solidaires. Une chaîne de solidarité se met en place et le contrôle n'existe plus. Plus personne ne contrôle personne car personne n'a cette culture d'indépendance du magistrat. Pourtant, il faut chaque fois examiner un dossier comme s'il était neuf, avec un esprit d'indépendance. Par ailleurs, il faut apprendre aux magistrats à interroger: aussi bien les suspects que les victimes et les témoins.


Les avocats de la défense du procès d'Outreau réclament la suppression des juges d'instruction
LEMONDE.FR 06.12.05, extrait :

Les critiques du travail effectué par le juge Burgaud, en charge de l'instruction durant l'affaire Outreau, se sont multipliées depuis les révélations du procès. Dans une lettre ouverte au garde des sceaux, publiée mardi 6 décembre dans Le Figaro, les avocats dénoncent un juge qui, "épaulé par ses pairs, a su tenir la défense à distance, servir sa conviction jusqu'à l'absurde, auréolé de son statut de magistrat impartial, instruisant à charge et à décharge". Ils déplorent que le juge d'instruction, censé instruire à la fois pour la défense et l'accusation, se transforme trop souvent en accusateur-bis.


Déséquilibre. En pleine affaire Outreau, Nathalie Lerminier fournit des munitions à ceux qui soulignent le déséquilibre des forces entre accusation et défense dans la procédure actuelle et qui insistent sur le côté fictif de certaines instructions à décharge pour demander la mort du juge d'instruction. Selon son avocat, Me Cohen-Sabban, ce qu'on lui reproche ne relève pas du disciplinaire. Sa cliente est une excellente ; d'ailleurs, «des capitaines et des commandants de la Brigade de répression du banditisme sont venus la soutenir», dit-il en se tournant vers le fond de la salle. Le directeur des services judiciaires n'est pas de cet avis : «L'instruction impose une capacité à se remettre en cause [...]. Le fait de supporter la contradiction est au moins aussi important que la compétence technique ou la puissance de travail.» La sanction la plus adaptée est le changement de fonction, dit-il. Décision le 30 mars.


Renaud Van Ruymbeke, juge d'instruction au pôle financier de Paris
LE MONDE | 19.01.06

La tentation peut être forte chez les politiques de tordre le cou aux juges d'instruction. Il suffit de prendre l'affaire d'Outreau et de dire : "Regardez, les juges d'instruction font n'importe quoi, donc supprimons-les. Donnons tous les pouvoirs au parquet." Parquet qui lui dépend du pouvoir politique. Et ça, ce n'est pas acceptable.


Libé, 20 janvier 2006

Mort de trouille. Hier, le garde des Sceaux, Pascal Clément, est intervenu dans le débat qui fait rage autour du juge d'instruction, cible principale des innocentés d'Outreau et de leurs avocats. [...] «S'il n'y a plus de juges d'instruction, a-t-il déclaré, les pouvoirs d'enquête passent au procureur de la République. Très vite, on va découvrir qu'il [...] dépend lui-même du procureur général, qui lui même reçoit des instructions du garde des Sceaux.» Eh oui, au cas où les Français ne le sauraient pas, ils risquent de s'en apercevoir : les procureurs dépendent du pouvoir politique.


Libé, 19 mai 2006
Le CSM veut un statut d'indépendance pour les procureurs

Le CSM propose également de retirer tout pouvoir au ministre de la Justice concernant les carrières des magistrats dits "du siège" (juges d'instruction menant les enquêtes, présidents des tribunaux et cours d'appel jugeant les dossiers).

Actuellement, le ministre choisit les candidats pour la majeure partie des postes de cette catégorie et le CSM décide, sans pouvoir remplacer un candidat jugé défaillant.

Pascal Clément a ainsi retiré le 11 mai la candidature du juge d'instruction Renaud Van Ryumbeke au poste de président de cour d'appel, en marge de l'affaire Clearstream.

L'élimination du pouvoir politique de la gestion des carrières "marquerait un changement profond de l'institution, d'abord dans l'organisation symbolique des positions de pouvoir respectives", souligne le CSM.


Dioxine : la juge d'Albertville résiste aux pressions du parquet
Elle a refusé d'être dessaisie du dossier, qui implique des personnalités.

par Olivier BERTRAND
Libé, jeudi 21 avril 2005


Juges et procureurs : une grande proximité
Le Monde, édition du 19.04.06

Ceux qui demeurent attachés au juge d'instruction tiennent donc la corde. Parmi eux, nombre d'avocats qui savent bien qu'une marge, si étroite soit-elle, vaut mieux pour leurs clients qu'une confrontation exclusive avec le procureur. Un renforcement des droits de la défense leur conviendrait. Respectant la tradition française, cette solution rafraîchirait la procédure criminelle en recentrant un peu le magistrat instructeur, dont la grande proximité avec l'accusation fait débat. Elle présenterait surtout l'avantage de ne pas toucher à l'essentiel d'une organisation judiciaire en trompe-l'oeil.

Aucun professionnel du droit n'ignore, aujourd'hui, que le juge d'instruction n'est que l'ombre de lui-même. Placé au coeur du dispositif criminel lors de l'élaboration du code de procédure pénale, en 1957, il a été progressivement marginalisé au point de ne plus traiter que 5 % des procédures. Et la situation ne fait qu'empirer.

Les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, se sont évertués à renforcer encore leur pouvoir en élargissant leurs attributions en amont du jugement. La dernière période a vu s'accélérer le processus avec le renforcement du contrôle hiérarchique sur les parquets et l'instauration de la procédure de « plaider coupable » à la française qui signe, cette fois, un premier empiétement sur les attributions des juges dits du fond.

Quel rapport avec Outreau ? Il est simple. La procédure pénale est un système complexe, et à l'instar de tous les mécanismes compliqués à forte composante humaine, la sûreté n'y peut progresser que si des contrôles systématiques et effectifs sont mis en place. Les spécialistes des risques technologiques savent bien que les principaux ennemis de la sûreté industrielle sont la hiérarchie, d'une part, et le défaut de vigilance, de l'autre. La hiérarchie, parce qu'elle induit la sanction et entrave, par voie de conséquence, la remontée de l'expérience. La vigilance, parce qu'elle est une problématique évidente du facteur humain lorsque les automatismes ne peuvent y suppléer.

Or, incompétence ou volonté délibérée de ne rien modifier du déséquilibre actuel de l'institution judiciaire, ceux qui la contrôlent ne s'en soucient guère. La justice demeure ce petit monde hiérarchisé et assoupi que chacun imagine, particulièrement vulnérable aux catastrophes.

Posted 19 years, 8 months ago on May 28, 2006
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