September 9, 2005

Jeunes perdus sans collier

L'Express du 25/07/2005
par Boris Thiolay

Packs de bière et chiens à leur côté, ils zonent dans les centres-villes, interpellent le passant pour glaner quelques euros. La plupart ont une vingtaine d'années et vivent dans la rue. Aujourd'hui, en France, plusieurs dizaines de milliers de jeunes sans domicile fixe s'organisent en petits groupes pour affronter un quotidien de misère. Rencontres

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Trop de bières, trop de pétards, probablement quelques cachets avalés pour tromper l'ennui. Pour oublier l'angoisse qui remonte systématiquement en fin de journée.

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Evidemment, ces jeunes errants et leurs chiens font peur. Ils le savent, ils en jouent, le déplorent de temps à autre. Look post-punk décadent, état d'ébriété avancée, incivilités, tapage, dégradations, petits trafics, vols, règlements de comptes, voire agressions: incontestablement, ces jeunes font tache. Les commerçants et les riverains craquent, signent des pétitions, saisissent les services de police nationale et municipale.

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«Nous sommes face à un problème de société majeur et nous allons devoir les écouter, les accueillir et les réinsérer», explique Catherine Vautrin, ministre chargée du dossier. Certains sociologues et professionnels de l'action sociale avancent des chiffres plus élevés, parlant d'au moins 100 000 jeunes gens en errance. Une seule certitude: ils font désormais partie intégrante de notre paysage. Et posent des questions lancinantes. D'où viennent-ils? Qui sont-ils? Des enfants de la crise, du chômage de masse (un quart des moins de 25 ans), de la cherté du logement (un tiers des jeunes SDF ont un emploi) ou de l'atomisation des familles en grande précarité? Ou sont-ils des naufragés volontaires?

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Les services sociaux sont débordés et voient leurs budgets fondre. L'Etat et les collectivités locales sont écartelés entre le devoir de solidarité, l'exigence de sécurité et les propres contradictions de ces jeunes à la dérive.

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Le phénomène a explosé au tournant des années 1990, avec les grands festivals d'été

Pour Jacques Guillou, sociologue spécialiste de ces questions (Figures de l'exclusion. Parcours de sans domicile fixe, L'Harmattan), la très grande majorité des jeunes que l'on retrouve dans la rue ont un vécu très lourd: mauvais traitements, ruptures familiales, décès des parents - quand ils en ont eu - échec scolaire, démêlés avec la justice, impossibilité d'entrer sur le marché du travail… «Il existe encore beaucoup de familles où le jeune doit quitter le domicile dès sa majorité, voire avant, pour soulager des parents eux-mêmes en déshérence.»

Un tiers des jeunes zonards sont des enfants de la Ddass. Selon une enquête réalisée en 2000 par l'Institut national des études démographiques (Ined), 52% n'ont aucun diplôme, 17% ont perdu au moins un de leurs parents, 9% ne savent même pas si ces derniers sont encore en vie. Parmi ces jeunes en déroute, on trouve aussi beaucoup d'adolescents fugueurs, qui contestent l'autorité parentale et décident un jour de ne plus jamais revenir. «Souvent, l'errance commence au sein même de la famille», résume Robert Bianco-Levrin, responsable de la «mission squat» lancée en juin 2004 par Médecins du monde en Ile-de-France.



UNE INTERVIEW D'ALAIN BENTOLILA
Septembre 2005, voir L'école à la dérive
Extraits des propos recueillis par Anne Terrier :

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Et ceux-ci sont de plus en plus perdus et démotivés.

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Le problème est que notre société a laissé se constituer des ghettos sociaux. Ceux-ci n'ont rien à voir avec les ghettos anglo-saxons : les habitants des Chinatowns ont conservé leur culture, leur langue, leurs traditions, tout en étant capables de s'insérer dans la société américaine, d'y travailler, d'en maîtriser les codes. (...) Nos ghettos sociaux sont des ghettos acculturés, et c'est là le drame. Car le vide culturel peut être comblé par n'importe qui, par n'importe quel faux prophète de quelque secte ou religion que ce soit.
Par ailleurs, les ghettos sociaux engendrent des ghettos scolaires: l'école au pied des tours.

... Il nous faudra du temps, et des mesures fortes, pour corriger nos erreurs.

... Ceux qui ne maîtrisent qu'un vocabulaire de 450 mots ne constituant même pas le langage de tout le monde sont enfermés dans leur propre système. Avec 450 mots, on ne peut ni lire les journaux, ni trouver un emploi, ni effectuer des démarches administratives ou juridiques.

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Nous avons là des poudrières sociales, des lieux où la violence et le passage à l'acte sont immédiats.


PARIS (AFP), vendredi 9 septembre 2005, 14h54 - Le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy a demandé vendredi à ses préfets de "mettre le paquet" contre les violences aux personnes, un secteur de la délinquance "pas maîtrisé", en hausse depuis le début de l'année.


La commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) dispose de 500 euros pour boucler son exercice 2005, hors paiement du loyer et des salaires. Cette situation surréaliste est la conséquence d'un gel de crédits imposé en janvier à cette autorité administrative indépendante, dont la vocation est de "veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République".

Le budget de 545 005 euros dont elle a été dotée pour cette année a été amputé de 100 000 euros ­ soit de près de 20 % ­, ce qui lui cause des problèmes inextricables pour assurer son rôle de vigie. Elle ne peut plus payer les frais de déplacement à Paris de policiers mis en cause, ainsi que les missions en province, essentiellement pour procéder à des auditions en prison.
LE MONDE | 08.09.05 | 14h28


Libération, Portrait des incendiaires présumées d'une HLM de L'Häy-les-Roses

Les quatre forment une petite* bande de filles de la cité de l'allée du Stade, à L'Häy-les-Roses (Val-de-Marne). Elles «traînent très tard la nuit», disent les voisins, elles se maquillent «comme des voitures volées» et fument comme des pompiers, picolent aussi.

Amalia (1), 16 ans, habite au deuxième étage de la tour 2, celle où l'incendie a tué 16 personnes dans la nuit de samedi à dimanche. Elle a des racines portugaises, une «mère très jeune», un petit frère de 6 ans, un père parti depuis longtemps. «C'est la plus agitée», selon une locataire du 8e étage. Audrey, 18 ans, réside dans un foyer de l'enfance des Hauts-de-Seine, mais traîne dans le Val-de-Marne au pied de la tour aujourd'hui sinistrée.

CRETEIL (AFP), 6 septembre 2005, 23h31, extraits :
En soirée, la préfecture du Val-de-Marne a annoncé la mort d'une 18e victime, une personne française d'origine somalienne. Selon la préfecture, il s'agit d'une mère de quatre enfants, dont deux ont également succombé à l'intoxication.
Les jeunes filles sont aussi accusées d'avoir "entraîné pour autrui une infirmité permanente", concernant une victime dans un état toujours critique mardi.
En outre, deux d'entre elles ont été mises en examen pour une tentative de destruction comparable, commise la veille de l'incendie meurtrier sur la même boîte aux lettres et au rez-de-chaussée de la même tour.
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Une dizaine d'adolescentes ont indiqué mardi à la presse qu'elles connaissaient les jeunes filles en question: "elles traînaient le soir tard. Il y en avait une qui fumait. Mais c'étaient des filles normales".
Les faits reprochés aux jeunes filles peuvent être réprimés par la réclusion criminelle à perpétuité pour la majeure, et 20 ans d'emprisonnement pour les mineures.


Le Monde, 17.09.05
Prison ferme pour un jeune squatteur de hall d'immeuble, extraits :

Depuis l'entrée en vigueur, en mars 2003, de la loi sur la sécurité intérieure, votée sur l'initiative de Nicolas Sarkozy, de tels récits viennent de temps à autre s'échouer devant les tribunaux, sous le label "entrave à l'accès et à la libre circulation des personnes" , un nouveau délit punissable de deux mois d'emprisonnement ferme et 3 750 euros d'amende.

Il reconnaît bien volontiers s'être rendu régulièrement dans ce hall "pour aller voir des amis : c'était pour avoir chaud, car il fait froid dehors". Il n'a "pas remarqué que le hall était sale" , en tout cas, précise-t-il, pas plus sale que celui de l'immeuble où il vit.

Quelques minutes plus tard, le jugement tombe : 400 euros d'amende pour Ibrahima, deux mois avec sursis pour le deuxième prévenu absent, Max, un sans domicile fixe hébergé par le Secours catholique, et deux mois ferme pour Mourad, au casier judiciaire déjà chargé, ainsi que 1 000 euros de dommages et intérêts à verser à la société HLM, partie civile au procès.

A la sortie de l'audience, Ibrahima hausse les épaules : "On peut aller nulle part, y a pas de salle pour les jeunes dans la cité. Chez nous, ils construisent que des crèches..."

Posted 20 years, 3 months ago on September 9, 2005
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