September 21, 2006

Pascal Clément : critiquer la justice implique "mesure et impartialité"


Le tribunal de Bobigny, «une juridiction de combat»
Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation, s'est rendu jeudi en Seine-Saint-Denis où il affiché un clair soutien aux juges attaqués par Nicolas Sarkozy • Reportage •
Par Alexandra BOGAERT
Libé : Jeudi 21 septembre 2006 - 19:09
Extraits significatifs :

Aurélie Bousquet, jeune avocate, prend elle aussi la défense de cette juridiction: «C’est un parquet qui connaît des difficultés. Ce n’est pas lui qui les crée. D’autant plus qu’il existe un cadre légal, notamment l’ordonnance de 1945, qui interdit de placer un mineur en détention.»

Autre point soulevé par Perrine Crosnier: «Les juges, quand ils entendent des mineurs, travaillent sur un matériau qui leur a été transmis par des fonctionnaires de police. Ce sont eux qui mènent l’enquête au départ. Et force est de constater que ces documents sont souvent des torchons, dus à un mauvais travail des policiers. Ils pensent que, de toute façon, ce qu’ils font ne sert à rien puisque le mineur sera relâché, sauf exception.»

Voilà qui ne fait pas écho à l’«union sacrée» entre magistrats et policiers que Jean-Louis Nadal a appelée de ses vœux: «Un juge seul, ce n’est rien. Un policier seul, ce n’est rien. Bien sûr, il ne faut pas être dans le fusionnel. Mais dans la complémentarité». Encore faut-il s’entendre.


PARIS (AFP) - La séparation des pouvoirs qui préserve notamment l'indépendance de l'autorité judiciaire par rapport au pouvoir exécutif est au coeur de la polémique créée par les propos de Nicolas Sarkozy, fustigeant la "démission" de la justice face à la délinquance en banlieue.

Les critiques d'un membre du gouvernement sur le fonctionnement de la justice constituent-elles une atteinte à la séparation des pouvoirs ?

Pour les magistrats, la réponse est claire: les positions du ministre de l'Intérieur qui a accusé mercredi les magistrats de Seine-Saint-Denis de "démission" face aux délinquants sont une entorse flagrante à ce principe constitutionnel défini par l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, cité par le préambule de la Constitution de 1958.

Ce dernier stipule que "toute Société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution".


Pour Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, Nicolas Sarkozy, a clairement porté "atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire" en "opposant les institutions publiques", en l'occurence la police, dépendant du pouvoir exécutif, et la justice.

...

PARIS (AFP) - La critique du fonctionnement de la justice doit se faire "avec mesure et avec impartialité", a déclaré le Garde des Sceaux Pascal Clément jeudi devant le Sénat, après la polémique suscitée par les propos de Nicolas Sarkozy sur le tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis).

"Je considère que l'indépendance de la justice n'est pas mise en cause lorsque les Français et leurs représentants s'interrogent sur le travail d'un tribunal, mais il faut le faire avec mesure et avec impartialité", a déclaré M. Clément.

"En l'espèce, le fonctionnement du tribunal de Bobigny s'est amélioré et doit continuer à le faire", a ajouté le ministre, qui s'exprimait au Sénat à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la délinquance.

M. Clément a défendu le travail des magistrats de Bobigny en soulignant notamment que "le taux de réponse pénal des mineurs" a augmenté à "plus de 83%" en 2005, contre 72 % en 2002. Selon lui, c'est "le taux de réponse pénal moyen pour la France, ni plus ni moins".

"Cette progression a été rendue possible grâce au renforcement des moyens accordés à Bobigny par l'actuelle majorité", a poursuivi le Garde des Sceaux.

Il faut donner plus de moyens au tribunal de Bobigny "en élargissant l'éventail des mesures mises à la disposition des magistrats pour lutter contre la délinquance, comme le propose le projet de loi que je défends aujourd'hui devant vous", a encore dit M. Clément à l'adresse des sénateurs.

Les plus hauts magistrats de France ont dénoncé jeudi l'atteinte à l’indépendance de la justice par le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, qui avait accusé mercredi le tribunal de Bobigny de "démission" face aux délinquants.

Dans un communiqué sans précédent, Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, a qualifié les déclarations de M. Sarkozy de "nouvelle atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire" et a demandé à être reçu par Jacques Chirac.

PARIS (AFP) - En dénonçant la "démission" de la justice face à la délinquance juvénile, Nicolas Sarkozy a pris un risque politique qui l'entraîne au coeur d'une tourmente à sept mois de l'élection présidentielle.

Ses propos sur la "démission" des magistrats de Seine-Saint-Denis face à "des délinquants chaque jour plus violents", ont entraîné de virulentes critiques de la part de la magistrature et de l'opposition.

Dans son propre camp, les critiques sont voilées, mais existent néanmoins, même si l'UMP a clamé que son président "a eu raison".

Dans un communiqué à l'issue d'une réunion d'urgence sur la délinquance, organisée en présence du ministre de l'Intérieur, de Pascal Clément (Justice) et Jean-Louis Borloo (Cohésion sociale), le Premier ministre a tenu à saluer l'engagement de tous les acteurs dans la prévention de la délinquance, dont les magistrats.

Une façon de corriger les propos de son numéro deux, même si "la réunion s'est déroulée dans un très bon climat", selon une source proche du gouvernement.

La lutte contre l'insécurité est un combat "sans relâche" qui demande "beaucoup d'humilité et beaucoup d'engagement", a déclaré Dominique de Villepin dans l'après-midi à Nice.

Jean-François Copé, porte-parole du gouvernement, a lui aussi défendu des magistrats qui ont "pleinement à coeur de faire respecter la règle de droit".

Les plus hauts magistrats ont très fermement réagi.

Pour Guy Canivet, Premier président de la Cour de cassation, les déclarations de M. Sarkozy sont une "nouvelle atteinte à l'indépendance de l'autorité judiciaire". Il sera reçu vendredi par Jacques Chirac.

Renaud Chazal de Mauriac, Premier président de la Cour d'appel de Paris, a fustigé "la stigmatisation de la justice à travers des formules chocs et réductrices".

La semaine dernière, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) avait remis au président de la République un avis dénonçant les atteintes à la séparation des pouvoirs par Nicolas Sarkozy.

Du côté de l'opposition, les critiques fusent: "Nicolas Sarkozy devrait prendre un peu de repos et un peu de recul", a glissé Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée.

Arnaud Montebourg, porte-parole de Ségolène Royal, a qualifié le ministre de l'Intérieur d'"anti-républicain dangereux" qui "doit être rappelé à l'ordre rapidement".

Pour André Vallini, député PS et ancien président de la commission d'enquête sur Outreau, les déclarations de M. Sarkozy posent "un grave problème démocratique puisqu'elles relèvent d'une atteinte caractérisée à la séparation des pouvoirs".

Mais les amis de M. Sarkozy font barrage pour défendre leur champion.

Le député Yves Jégo estime que M. Sarkozy "pose les vraies questions" et "ne fait que relayer ce que disent les maires, les policiers, les préfets". Il qualifie les réactions des magistrats de "corporatistes".

François Fillon, conseiller politique de Nicolas Sarkozy, voit dans la situation en Seine-Saint-Denis, qui symbolise "l'échec" d'une politique menée depuis 20 ans, une justification à "la vraie rupture" prônée par le président de l'UMP pour 2007.

Cette stratégie a pourtant ses limites, estime en substance le politologue Dominique Reynié. "Ce qui apparaît au public, c'est la crise de l'ordre public. Sarkozy se retrouve fragilisé car il a fondé son identité politique sur la sécurité. De plus, son positionnement sur la justice peut inquiéter l'électorat modéré dont il aura besoin au second tour de l'élection présidentielle".

Posted 19 years, 1 month ago on September 21, 2006
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Re: Pascal Clément : critiquer la justice implique
Carnets de justice
«Il n'a pas eu le temps de commettre le délit...»
Par Dominique SIMONNOT
Libé, Lundi 28 août 2006 - 06:00
Tribunal correctionnel de Paris

Mamadou se lève dans le box et la procureure se lève aussi : «Euh... il y a un problème, il n'est poursuivi que pour infraction au séjour, mais il a été interpellé dès sa sortie de prison ! Sans vraiment lui laisser le temps de quitter la France, je pense à une relaxe.» Le président sourit : «Eh bien, maintenant qu'il est là, vous allez laisser le tribunal en décider !» Et l'assesseuse résume à Mamadou : «Il y a deux condamnations à votre casier. Et vous avez donc été interpellé le lendemain de votre sortie de prison...» «Ils m'avaient donné cinq jours pour partir, explique Mamadou, j'ai téléphoné à mon frère pour le rejoindre au Canada, j'ai même pas eu le temps de le rappeler, ils m'ont arrêté.» La procureure approuve : «Il n'a pas eu le temps de commettre le délit...», et l'avocate rigole : «Hi, hi ! Il l'avait bien dit aux policiers, mais rien n'a été fait pour vérifier ses dires.» Relaxe.
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