May 7, 2006
L'enfance dans l'ombre du génocide
L'enfance dans l'ombre du génocide
LE MONDE DES LIVRES | 12.09.05 | Laurent Douzou
Initiées dès le lendemain de la défaite de 1940, les persécutions antisémites poussent immédiatement les juifs à lutter pour leur survie. Avec les rafles de 1942 qui touchent les familles sans distinction d'âge, la dramatique urgence de disperser et de cacher les enfants s'impose aux organisations juives. Totalement prises de court, elles en recueillent des centaines à l'abandon. Priorité absolue, leur sauvetage n'est possible qu'au prix d'une action clandestine qui les disperse sur tout le territoire. A la Libération, il faut retrouver ceux qui ont eu la vie sauve. Beaucoup sont orphelins.
Créé en mai 1945, le Comité de l'enfance juive, qui réunit les grandes tendances du judaïsme et toutes ses composantes politiques, entend retirer les enfants des organismes non juifs et de leur famille d'adoption. Cette même discrétion qui a permis de les épargner rend leur repérage difficile. Il y faut de patientes enquêtes de terrain. D'autant que des institutions et des familles chrétiennes qui ont recueilli des enfants rechignent à s'en défaire. Ces tensions défraieront la chronique à travers le cas de Robert et Gérald Finaly, réclamés dès 1945 mais baptisés en 1948 par leur tutrice provisoire, cachés par les soeurs de Notre-Dame-de-Sion et qui ne retrouvent leur tante en Israël qu'en 1953.
L'affaire a beau focaliser l'attention, l'essentiel est ailleurs : ce sont quelque trois mille orphelins qui doivent réapprendre à vivre. Cette tâche immense est dévolue à la cinquantaine de maisons d'accueil des oeuvres juives qui, aidées par les fonds du Joint américain, travaillent à ramener les enfants au sein du judaïsme et à leur donner un foyer. Katy Hazan dresse le panorama de ces institutions qui représentent toute la palette du judaïsme. D'un côté, l'oeuvre de secours aux enfants, l'oeuvre de protection de l'enfance juive, les eclaireurs israélites de France, l'Alyah des jeunes, donnent aux enfants les rudiments d'une culture juive, religieuse ou non, pour les ancrer dans une tradition. De l'autre côté, les maisons laïques revendiquent une appartenance politique tout en se rattachant au judaïsme par le biais de la langue, des juifs communistes aux sociaux- démocrates du Bund. Mais l'auteur pointe combien cette typologie, sans être inexacte, est réductrice : chaque maison est un monde en soi, et les enfants qu'elle abrite y viennent souvent par hasard sans choix idéologique.
Lieux de vie Car ce qui frappe, c'est le désarroi d'enfants profondément déstabilisés. La difficulté à se reconstruire est extrême au sortir d'un vécu traumatique jamais formulé ni reconnu. Autant de jeunes vies défaites par les ruptures successives, les drames répétés, une survie difficilement préservée. A tous ces êtres déboussolés mais qui ont un même parcours, les maisons d'accueil offrent un lieu de vie.
Pourtant, sur le moment ou à distance, nombre d'entre eux reprochent à ces structures un manque de solidarité et de compréhension. Katy Hazan tempère cette appréciation : il n'y avait pas de précédent et tout le monde improvisait. Elle invite surtout à distinguer le niveau collectif, souvent vécu comme une réussite, et celui des individus dont la blessure est indicible.
C'est que l'entrée en collectivité est, pour les enfants de déportés, le moment où tout s'écroule, la preuve tangible que les parents absents ne reviendront plus. Pour eux, la vraie guerre commence après la guerre. Le chagrin s'intériorise. " Nous avons traversé la vie comme des funambules en équilibre sur les fils barbelés qui emplissaient notre tête ", écrit l'un d'eux.
Katy Hazan décrit ces maisons comme de véritables communautés éducatives animées par de fortes personnalités qui ont la ferme volonté d'appliquer des méthodes d'éducation nouvelles. Les programmes conçus sont originaux, mêlant activités libres à la Freinet et dirigisme à la Makarenko. Mais il y a loin de la théorie aux actes : beaucoup d'anciens pensionnaires conservent le souvenir d'une réalité routinière peu épanouissante.
Ces expériences, qui courent de la Libération au début des années 60, n'échappent pas plus que la société dans son entier au silence qui entoure alors la déportation. Un silence de plomb. Pourtant, par-delà leur diversité, les maisons ont atteint leur objectif, permettant aux enfants de redonner un contenu positif à une identité bafouée et mortifère.
Après l'étude de la persécution, des déportations, de la spoliation et de la restitution, le temps est venu de scruter l'après-guerre. Katy Hazan note que, pour beaucoup d'enfants, le véritable travail de deuil n'a eu lieu qu'avec la publication en 1978 du Mémorial de la déportation des juifs de France. Dans un autre registre, son étude précise et sensible marque également une étape importante. Sans se départir du recul nécessaire à l'étude, l'historienne excelle à faire entendre les voix singulières de la conscience déchirée d'enfants sur lesquels n'a cessé de planer l'ombre portée de la Shoah. Ainsi de la petite Janine, privée de ses parents en 1942, ballottée de refuge en maison, anorexique, qui, à neuf ans en 1947, bute à l'école sur les fractions parce qu'elle ne comprend pas le partage d'un gâteau dans une famille.
Bibliographie
Les orphelins de la Shoah
Les maisons de l'espoir (1944-1960) de Katy Hazan
Les Belles Lettres, 418 p., 180 F (28,20 ).
Chapitre.com, Description Au lendemain de la guerre, les organisations juives se retrouvent face au désarroi de nombreux orphelins, fils et filles de déportés juifs, la plupart d'origine étrangère. Diverses associations, actives depuis l'entre-deux guerres, mettent en place des structures afin de les recueillir, de leur donner une éducation et une formation pratique, de leur offrir une émancipation. Ceci avec l'aide financière de l'Etat, mais surtout de la diaspora américaine (en particulier Le Joint), et aussi, dès sa création, de l'Etat d'Israël. On comptera environ 50 de ces maisons d'accueil pour environ 3000 orphelins. C'est l'histoire de ces "maisons de l'espoir", très différentes selon leur idéologie (des traditionalistes aux socialistes révolutionnaires) et de ces enfants, que Katy Hazan se propose de raconter. Oeuvre de vie, ces maisons furent un formidable défi à la Shoah : défi relevé dans le souci de ne pas laisser ces enfants aux soins de l'Assistance publique, défi humain contre la mort, utopie créatrice et positive dans une après-guerre plus que morose. Par leur existence, ces collectivités posent une question, fil conducteur de ce travail : que signifie être juif après la Shoah, à une époque où le modèle intégrateur républicain reprend toute sa place, sinon sa légitimité, tout en affirmant fermer la parenthèse malheureuse de Vichy ? Comment, dans cet immédiat après-guerre, la question identitaire se pose-t-elle à travers la prise en charge des enfants ? Dans ce travail original, Katy Hazan allie la rigueur de l'historienne à un travail de mémoire et de "proximité" d'une grande densité émotionnelle. Etudiant les conditions d'émergence de ces maisons de l'espoir, elle a réuni, en recoupant des informations éparpillées et lacunaires, une centaine de témoignages, sous forme d'entretiens : ils permettent de rendre compte, de manière extrêmement vivante, de ces lieux de vie, avec leurs ambiguïtés, leurs échecs, leurs réussites. Ces témoignages détaillent les différentes méthodes éducatives, mettent en lumière des paradoxes entre la générosité des projets et l'utopie messianique (construction de "l'homme juif nouveau" dans la réalité de lendemains qui déchantent). Hélas, le travail de deuil nécessaire fut négligé : parce que l'on tut la mort des parents (sujet tabou) et ses raisons, on entretint chez beaucoup l'espoir de les revoir. C'est aussi de ce deuil à faire, aujourd'hui encore, que parlent ces orphelins désormais grand-parents. |
Posted 19 years, 9 months ago on May 7, 2006
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Quels enseignements peut-on tirer de cette expérience pour aider à se reconstruire des enfants victimes de violences dans le monde aujourd'hui, comme ceux du Rwanda ou de l'ex-Yougoslavie, de Bosnie, ou de Tchétchénie, des enfants soldats.
Ces collectivités d’enfants juifs peuvent servir d’exemple pour d’autres enfants victimes de violences ou orphelins d’autres génocides. Elles ont permis aux enfants de se reconstruire en se constituant une identité. Par leur projet pédagogique spécifique, ou tout simplement en les ancrant dans le présent pour pouvoir se projeter dans l’avenir, ces maisons ont permis à chaque individu de pouvoir vivre sa souffrance collectivement. Le fait d’être ensemble leur a permis d’être les mêmes et de recréer entre pairs du lien social. En ce sens, elles peuvent servir d’exemple.