September 27, 2005

Problèmes sociaux d'envergure, panique et ordre moral


Définition selon un article de Champ Pénal, nouvelle revue française de criminologie
Extrait du résumé et conclusion :

Durant la première moitié des années 1990, les États-Unis traversèrent ce qui peut être appelé une crise liée aux crimes sexuels. Ceci entraîna le passage de législations spécifiques destinées à adresser ce qui était perçu par le public comme un problème social de grande envergure. Durant la seconde moitié des années 1990, l’Europe (principalement l’Angleterre, la Belgique, les Pays-Bas, la France, et l’Allemagne) se trouva dans la même situation que les États-Unis. Là aussi des législations étaient promulguées, de nature variée, afin de procurer des réponses à la panique du public. Selon une approche sociologique constructionniste, une panique morale prend place lorsque certains types de comportements ou d’individus apparaissent comme posant un extrême danger pour le tissu social. Étant donné que la pédophilie représente symboliquement l’ultime horreur dans la catégorie des crimes sexuels en ce que des enfants en sont les victimes, la présente contribution propose une grille d’analyse constructionniste afin d’estimer l’existence potentielle d’une crise morale liée à ce crime. Cet article pose les bases d’une démarche continue d’analyse du phénomène pédophile selon la grille théorique des paniques morales."

Il est intéressant de voir qu’au delà de notre mémoire immédiate de l’actualité criminelle, la société française s’est vue être précurseur d’une panique morale allant et venant sur les abus sexuels des enfants. C’est le but de cette étude de mettre tous ces faits en parallèle les uns avec les autres, et de les rapporter à la situation présente. Aux grandes affaires des années 1990, ainsi qu’aux affaires plus récentes.
Afin d’analyser de potentielles paniques morales, et comme précisé précédemment, il est important de prendre un certain nombre de facteurs en considération dans une équation complexe. Premièrement, les chiffres réels. Augmentent-ils, diminuent-ils ? Deuxièmement, la source de ces chiffres. Traduisent-ils des changements dans les législations, dans les pratiques sociales, etc. Troisièmement, le rôle des médias. La prévalence des articles couvrant des affaires de pédophilie, la rhétorique utilisée, le nombre d’apparitions dans le texte, etc. Et quatrièmement, la corrélation entre flambée dans les médias, et passages de législations, ainsi que la potentielle influence de lobbys ou encore de situations politiques.
Des questions se posent donc quant à la meilleure méthodologie à appliquer afin d’éviter les biais à la validité : quel parti pris pour une analyse de contenu ? Quelles sources choisir ? Quels mots-clés utiliser ? Et au-delà, bien sûr, ne pas perdre de vue l’horizon menaçant de toute recherche comparative : est-il possible de comparer des pommes et des oranges ?


Définition de la «panique morale» selon Ruwen Ogien :

La panique morale consiste par conséquent en une incohérence : juger moralement le bien personnel alors qu’on a accepté les principes de l’éthique minimale. Ogien distingue quatre types d’incohérence :
  • le refus d’aller jusqu’au bout de nos raisonnements moraux ;

  • la tendance à toujours envisager le pire ;

  • le refus de payer le coût intellectuel de notre engagement envers certains droits ;

  • la tendance à ne pas tenir compte du point de vue des personnes dont on prétend défendre le bien-être.



  • Stygmatiser les minorités et conforter les croyances des conservateurs...

    Radio France Internationale, le 26/09/2005
    Le Vatican s’apprête à publier des recommandations visant à barrer l’accès de la prêtrise aux séminaristes ayant des tendances homosexuelles.
    Extrait :

    Avant même son élection au pontificat, le 19 avril dernier, le cardinal Joseph Ratzinger, alors préfet de la Congrégation de la doctrine de la foi, avait annoncé la couleur. Chargé par Jean-Paul II de rédiger les méditations du chemin de croix du vendredi saint au Colisée, le futur Benoît XVI avait alors tenu des propos très durs sur les mœurs dans l’Église : «Que de souillures dans l’Église, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement. Souvent, Seigneur, ton Église nous semble une barque prête à couler, une barque qui prend l’eau de toutes parts !». Tout le monde avait alors immédiatement associé cette condamnation au dossier de la pédophilie et aux scandales à répétition qui depuis plusieurs années secouent, et risquent de ruiner, l’Église américaine. Mais de l’avis des spécialistes régulièrement consultés par le Vatican pour tenter de mettre de l’ordre dans ses séminaires, l’homosexualité est aussi devenue un problème majeur. «Même si on ne peut le comparer au fléau de la pédophilie, par son ampleur le problème de l’homosexualité est encore plus vaste», nous confiait l’an passé un des principaux conseillers du Vatican en la matière.


    Pratiquer la discrimination pour ne pas heurter les conservateurs...

    LE MONDE | 27.09.05
    Une campagne publicitaire montrant deux homosexuels qui s'embrassent est interdite de métro parisien
    Extrait :

    Consulté pour avis, au mois de septembre, sur la campagne publicitaire de Rainbow Attitude, le Bureau de vérification de la publicité (BVP) avait, lui aussi, tiqué. "Compte tenu de la nature du média concerné s'imposant à tous ainsi que des lieux de diffusion prévus", il attirait l'attention sur les "réactions que ne manqueront pas de susciter, de la part de la fraction du public la plus attachée aux valeurs traditionnelles, les visuels présentant deux femmes ou deux hommes s'embrassant" .

    Rainbow Attitude tient à sa campagne et a donc remplacé le baiser par de chastes étreintes et des regards langoureux mais elle ne comprend toujours pas l'attitude de Metrobus. "Alors que l'Espagne, après la Belgique, les Pays-Bas et le Canada, a légalisé le mariage homosexuel, la France ne serait pas capable de regarder en face un baiser homosexuel ? se demande-t-elle. En France, devons-nous comprendre que la lutte contre les discriminations implique que les homosexuels doivent rester cachés ?"

    La campagne première version, celle qui met en scène le baiser, ne devrait cependant pas disparaître : après beaucoup d'hésitations, un avis négatif de son comité d'éthique et un premier refus, Insert, la régie qui gère les affiches figurant sur les vitrines, a finalement donné son feu vert. "Leur accord n'a pas été facile à obtenir alors que les espaces publicitaires affichent sans cesse des couples qui s'embrassent, remarque Jean-Paul Chapon, porte-parole de Rainbow Attitude. Ce qui a choqué, cette fois, c'est qu'il s'agisse d'homosexuels."

    L'association a décidé, lundi 26 septembre, de porter plainte pour discriminations contre Metrobus et de saisir la toute nouvelle Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), présidée par l'ancien PDG de Renault, Louis Schweitzer.


    Abuser des craintes et croyances collectives pour violer la constitution...

    Libération, 28 septembre 2005
    Bracelet: le président du Conseil constitutionnel tance Clément

    Il - le président du Conseil constitutionnel - a expliqué à Pascal Clément que «le respect de la Constitution n'était pas un risque, mais un devoir». Son entourage assure qu'il ne s'agit que de défendre l'institution. Certes, mais «c'est la première fois qu'un garde des Sceaux exprime sa défiance vis-à-vis de la Constitution. Il était de notre responsabilité de réagir».

    Il - Pascal Clément, Garde des Sceaux, ministre de la Justice - s'exprimait lundi soir, au sortir d'une rencontre avec des jeunes femmes victimes d'un violeur récidiviste (Libération d'hier), puis sur les ondes de France Info hier matin : «Il y a un risque d'inconstitutionnalité. Les événements récents (deux violeurs récidivistes mis en cause dans de nouvelles affaires en fin de semaine dernière, ndlr) vont me pousser à prendre ce risque, et tous les parlementaires pourront le courir avec moi. Il suffira pour eux de ne pas saisir le Conseil constitutionnel», avait expliqué le garde des Sceaux. Avertissant : «Ceux qui le saisiront prendront sans doute la responsabilité politique et humaine d'empêcher la nouvelle loi de s'appliquer au stock de détenus.»

    ... Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : «Nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.» Ce principe consacré par l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme fait, à ce titre, partie de la Constitution. (...) Mais la Commission des lois de l'Assemblée a rétabli sa version initiale pour la deuxième lecture, en développant un argument juridique : dans ce cas de figure, le port du bracelet n'est pas une «peine» mais une «mesure de sûreté».

    L'argument mérite examen, estime Guy Carcassonne, professeur de droit, qui note que le Conseil constitutionnel a déjà accepté les inscriptions rétroactives au fichier des délinquants sexuels. Il n'en trouve que plus «ineptes» les déclarations du ministre. «Indignes, aussi, parce que si c'est vraiment anticonstitutionnel, ce chantage témoigne d'une incroyable légèreté de la part de celui qui est en principe le ministre de la Constitution et de l'Etat de droit.» Pour finir, Guy Carcassonne les juge «inopérantes parce que si se pose un problème constitutionnel, ce dont je doute, il se pose aussi face à la Convention européenne des droits de l'homme, et n'importe quel juge pourrait écarter l'application de cette loi, et la France serait condamnée».


    Il s'agirait d'esbrouffe mais le message est passé. Le message est d'ailleurs encore rappellé en conclusion de cette dépèche :

    PARIS (AP), 28 septembre 2005, extraits - M. Clément a assuré mercredi que le port rétroactif du bracelet n'est pas une peine mais une mesure de sûreté non susceptible de recours devant le Conseil constitutionnel. Un des principes fondamentaux du droit est qu'une loi ne peut être rétroactive lorsqu'elle est plus sévère.

    "C'est une mesure de sûreté pour la protéger la société", avait-il assuré un peu plus tôt sur Europe-1, avant de déplorer un débat "typiquement français: on préfère se disputer sur le droit plutôt que de voir ce qui est possible dans l'intérêt de la sécurité publique et des femmes".


    Baptiser et poursuivre l'engagement dans la durée...

    Le Figaro, 29 septembre 2005, L'Eglise catholique note une nette augmentation des demandes de baptême chez les douze - dix-huit ans.

    «Il y a vingt ans, on aurait affirmé que les parents laissaient aux enfants le libre choix. Aujourd'hui, ils se sont éloignés pour une part de la sphère catholique et ne se préoccupent plus de cette question.» Le père Guingand avance [...] l'idée d'un «effet d'entraînement» dans les établissements privés catholiques, souligne aussi que les grands-parents peuvent encore «jouer un rôle».

    «L'identification religieuse est de plus en plus marquée dans notre société. Les jeunes peuvent avoir envie d'appartenir ou de se référer à un courant spirituel, à une communauté», affirme le frère Joseph Court, chargé du catéchuménat des adultes au niveau national. (...) Une occasion pour l'Église de soutenir l'importance du geste posé par ces adolescents et de toucher leurs familles.»

    «Aujourd'hui, explique la responsable des aumôneries de l'enseignement public du diocèse de Paris, il n'y a plus une seule aumônerie qui ne prépare pas des adolescents au baptême.» Le défi consiste ensuite à insérer ces jeunes dans des communautés paroissiales afin de poursuivre cet engagement dans la durée.

    September 23, 2005

    Exhibition sexuelle

    Parfois, il arrive d’assister à d’étranges scènes auxquelles on ne s’attend pas.

    Source: www.filsantejeune.com


    L'avis de l'INSERM, du rapport Balier, 1995 :

    Les facteurs socio-éducatifs jouent un rôle important surtout dans les cas de psychopathie (milieu désorganisé) où la déviance sexuelle épisodique est l'un des passages à l'acte parmi beaucoup d'autres.


    L'avis de www.filsantejeune.com :

    Exhibition sexuelle
  • La loi entend par exhibition sexuelle les relations sexuelles proprement dites ainsi que des comportements à caractère sexuel nettement marqué : geste, caresses, baisers...

  • Le législateur ne sanctionne pas le fait que les relations soient homosexuelles ou hétérosexuelles ou que les partenaires soient majeurs et consentants. L’infraction consiste dans le fait d’imposer une exhibition à la vue d’autrui.


  • Exhibition imposée au public
  • La publicité constitue l’élément essentiel du délit. L’acte n’est pas incriminé en tant que tel mais parce que le spectacle est imposé à un public qui ne l’a pas recherché. Le même acte qui n’aurait pas été puni s’il avait été discret, devient délictueux s’il est public.

  • On entend par lieu public : la rue, la plage mais aussi un hôtel, un restaurant, une salle de spectacles... Mais ce peut être un lieu privé visible d’un lieu public : fenêtre dont les volets ne sont pas fermés, voiture en stationnement...

  • Une seconde exigence modifie la nature de l’infraction. En mentionnant que l’exhibition doit être imposée, l’art 222-32 du NCP souligne le caractère intentionnel d’une infraction qui sanctionne celui qui s’exhibe en sachant qu’il s’agit d’un lieu accessible au regard du public.

  • September 18, 2005

    La psychiatrie à la dérive

    Un dossier de L'Express du 5/9/2005
    La guerre des psys, par Gilbert Charles, extraits :

    Confortés par la découverte des neuroleptiques, qui permettent, à partir de 1952, de sortir les «fous» des asiles, les psychiatres cherchent alors à concilier la médecine avec les sciences humaines et s'en emparent avec enthousiasme. Le paradigme freudien leur fournit un cadre théorique et pratique qui donnera naissance à la psychiatrie dite «humaniste», dont les principes ont servi jusqu'à ces dernières années de référence à tous les professionnels de la santé mentale. Cette école considère que les symptômes ne traduisent pas forcément la réalité du trouble mental et cherche à appréhender le malade dans son contexte global, en prenant en compte son histoire personnelle et familiale à travers une relation thérapeutique d'écoute et de compréhension. La fréquentation des divans devient une étape incontournable pour les étudiants en psychiatrie qui, une fois formés, se retrouvent souvent eux-mêmes analystes.

    Mais, depuis la fin des années 1980, ce modèle humaniste a été mis à mal par des impératifs de gestion et par de nouvelles conceptions de la maladie mentale fondées sur des critères d'efficacité et de rentabilité. Sous prétexte de poursuivre le mouvement antiasilaire initié après guerre, et par souci d'économies, les gouvernements successifs, de droite et de gauche, ont décidé de réduire de façon drastique les services psychiatriques dans les hôpitaux, désormais réservés aux patients les plus lourds ou en crise, et de traiter les autres malades dans des dispensaires, des hôpitaux de jour ou des appartements thérapeutiques. Une réforme des études médicales est lancée, qui ramène les psychiatres égarés dans les sciences humaines dans le giron de la médecine. Les différents plans de santé mentale élaborés ces dernières années prévoient la disparition de 40% d'entre eux d'ici à dix ans et le transfert d'une partie de leurs compétences aux professions paramédicales (infirmières, psychologues, travailleurs sociaux), qui seront chargées du contact avec les malades, pendant que les psychiatres se cantonneront au rôle de superviseurs ou de coordinateurs des soins.

    «Le problème, c'est que ces structures alternatives qui devaient accueillir les malades en ville ont été oubliées, remarque Hervé Bokobza, psychanalyste et président de la Fédération française de psychiatrie: 3 000 places seulement ont été créées, alors qu'on a supprimé dans le même temps 30 000 lits d'hôpital. Résultat, les patients se retrouvent souvent à la rue, clochardisés, ou dans les prisons. A Paris, 40% des SDF sont des malades mentaux.» Le psychiatre Edouard Zarifian partage son amertume: «Les listes d'attente s'allongent à l'hôpital comme dans les cliniques et les cabinets privés; on réduit les moyens des psys tout en leur demandant de prendre en charge toute la misère sociale. Le malade devient un ‘‘usager'', un ‘‘consommateur de soins'' dont le traitement s'apparente de plus en plus à la gestion des stocks.» La plupart des hôpitaux psychiatriques ont ainsi mis en place un «programme médicalisé du système informatique» qui consiste à coder la pathologie de chaque patient selon une nomenclature précise qui définit la durée du séjour et la thérapie. On voit mal dans ces conditions comment les principes d'écoute bienveillante prônés par les psychiatres français d'après guerre pourraient perdurer.



    Il me parait inquiétant qu'une partie des compétences de professionnels de la santé soit confiées à des travailleurs sociaux. Dans certains domaines du « paramédical », les personnes en place ne font que « fonction de », y compris dans les services publics. Récemment il a été contesté que les assistantes de nombreux chirurgiens de cliniques privées n'avaient pas ni certificat ni d'ailleurs de formation particulière...

    J'y reviendrais plus tard.



    Vous ne le savez certainement pas, mais des bénévoles non diplômés, exercent des fonctions d’aides opératoires ou d’aides instrumentalistes dans certains blocs opératoires, ou encore dans des cabinets d’endoscopie dans certaines cliniques privées.

    Bien souvent, les chirurgiens s’entourent ainsi de leurs épouses ou de leurs secrétaires, sans que celles-ci n’aient reçu de formation spécifique pour exercer de tels soins. Les autorités de santé ont souhaité régulariser la situation de ces 300 à 400 bénévoles en organisant des épreuves de vérification des connaissances. Les recalés seront interdits de bloc, les autres pourront continuer.

    Doctissimo.fr, 26 août 2005,
    Source: Communiqué du ministère de la santé, de l’Unaibode et du SML


    Le Conseil d'Etat a suspendu vendredi "en urgence" l'application du décret et de l'arrêté autorisant des "bénévoles" à exercer, dans les cliniques privées, les fonctions d'aides opératoires. Une victoire pour la sécurité du patient.

    Mais une victoire partielle seulement ! Car en effet, si "l'application du texte est suspendue jusqu'à ce que le Conseil d'Etat statue définitivement sur (sa) légalité", ont fait savoir plusieurs associations et organisations de soignants, les pouvoirs publics semblent déterminés à passer en force. Ces dernières dénoncent ainsi dans une seconde démarche, "l'arrogance du ministère et du lobby qu'il représente".

    Yahoo, Destination santé,
    Sources: AEEIBO, GIPSI, UNAIBODE, CNI, 3 et 5 septembre 2005


    Libération, 17 septembre 2005
    Feu sur Freud, suite à la parution du «Livre noir de la psychanalyse», extraits :

    Péremptoire : «Moi, j'applique à la lettre le principe de l'historien Vidal-Naquet. On ne discute pas avec des gens qui veulent vous tuer. On parle d'eux, sans eux. Pas de débat», s'enflamme Elisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse.

    Automne 2003, un député UMP, médecin de formation, s'étonne que n'importe qui puisse mettre une plaque sur le bas de son immeuble pour se déclarer psychothérapeute. Il veut «bien faire». Il dépose un amendement pour réglementer le titre de psychothérapeute (Libération du 25 octobre 2003). Dans sa première version, le bon docteur Accoyer inclut dans cette réglementation les psychanalystes. Fureur d'une grande partie de ces derniers, qui rappellent que Freud et ses descendants se sont toujours construits en marge de l'Etat et des pouvoirs publics. Et que leurs disciplines et pratiques s'autoréglementent autour d'écoles. Après moult réunions et assemblées générales, mais aussi grandes envolées lyriques contre la mainmise des experts et des évaluateurs, un texte anodin est finalement adopté par le Parlement qui exclut les psychanalystes du champ de cette réglementation.

    En février dernier un rapport devait être retiré du site du ministère. - Ce rapport, qui avait été rendu public un an auparavant, concluait que les fameuses thérapies comportementales et cognitives (TCC) avaient une efficacité incomparable par rapport aux chemins mystérieux d'une cure analytique. «C'est une honte. On n'a jamais vu un cas de censure scientifique, opéré par un ministre de la République», ont aussitôt protesté les auteurs dudit rapport, appuyés par la direction de l'Inserm et par les tenants des TCC.

    «Plutôt qu'un livre noir, j'aurais préféré que l'on parle plutôt des pages sombres de l'histoire de la psychanalyse», tempère Philippe Pignarre, un des auteurs, d'ordinaire spécialisé dans la dénonciation des pratiques de l'industrie pharmaceutique. Non sans raison, il souligne combien le milieu analytique a tardé à «revisiter» des questions importantes, telles l'homosexualité ou la culpabilisation des mères, un temps jugées responsables de l'autisme de leurs enfants. Il dénonce aussi un regard trop fermé des psys sur la toxicomanie, ces derniers ne se souciant guère qu'à l'heure du sida il y ait urgence à éviter d'abord que les toxicomanes ne deviennent séropositifs. De là à affirmer que les fils de Freud sont responsables de la mort de milliers de toxicomanes... Sauf, évidemment, à vouloir faire du bruit.



    L'Humanité, Urgence pour la psychiatrie
    Par Franck Fabien, 10 décembre 2002

    Retour à 1656, l'âge classique de la psychiatrie, extraits :

    Depuis la circulaire du 15 mars 1960, la psychiatrie publique en France a évolué considérablement d’une manière hétérogène, certes, mais elle est devenue au fil des ans un grand service public de qualité reconnu bien au-delà de nos frontières. Force est de constater que le dernier projet politique audacieux pour la psychiatrie et la santé mentale date de 1982. Le rapport Demay, impulsé par Jack Ralite, alors ministre de la Santé, avait ouvert des perspectives donnant un nouveau souffle et des moyens à la psychiatrie publique de secteur. Depuis 1984, malgré les efforts considérables des équipes soignantes et de leurs partenaires, les gouvernements successifs ont cassé, restructuré, humilié, méprisé les travailleurs des secteurs psychiatriques, alors que les besoins nouveaux appelaient des réponses novatrices et progressistes. Avec le plan Juppé et les ordonnances de 1996 la situation s’est aggravée, Jospin, avec sa politique, s’est placé dans cette continuation, tout comme Kouchner d’ailleurs, et le positionnement de Mattei n’est pas là pour nous rassurer.

    Dans le champ du travail clinique en psychiatrie, on n’exerce pas qu’avec des protocoles d’enfermement : il y a le langage, la parole, les mots, mais faut-il qu’il y ait des infirmiers pour faire que ces mots circulent et prennent sens pour devenir thérapeutiques. Cette casse du service public de psychiatrie, ces restructurations ont eu pour effet, ces dernières années, de démotiver les équipes soignantes, de provoquer le désarroi chez les utilisateurs de la psychiatrie publique. Les valeurs qui ont contribué à la constitution de la psychiatrie publique de secteur sont en train de voler en éclats, des lieux d’écoute et d’accueil de proximité disparaissent faute de moyens, les portes des hôpitaux psychiatriques se referment, mettant en cause parfois les libertés individuelles, les pratiques professionnelles perdent de leur cohésion entraînant vers le bas le niveau de qualité des soins. La psychiatrie française de secteur est au bord du gouffre et nécessite de la part de tous les citoyens une mobilisation sans précédent, et c’est un peu le sens que veulent donner les psychiatres promoteurs des états généraux de la psychiatrie qui se tiendront à Montpellier en juin 2003. Mais la dégradation est telle que c’est tout de suite qu’il faut agir pour inverser le cours des choses. L’État, ses responsables politiques, vont-ils poursuivre aveuglément leur entreprise de destruction ? Allons-nous assister à un recul de civilisation gommant ainsi toutes les évolutions, le travail, l’utopie parfois de ces professionnels courageux, humbles, intelligents et humanistes qui se sont battus pour mettre un terme à plusieurs siècles de relégation des " fous(*) " dans les ghettos asilaires ?

    L’enjeu est clair, entre deux possibilités : l’une ouvrant sur des perspectives créatrices et innovantes, l’autre renfermant les professionnels et les usagers dans un nouvel obscurantisme.


    *) mandiants, déviants et insensés



    LE MONDE | 27.09.05
    La fugue d'un patient cristallise les tensions à l'hôpital psychiatrique de Villejuif
    Extraits :

    Dans un rapport du 9 juin, l'Agence régionale d'hospitalisation d'Ile-de-France (Arhif) note qu'au moment des faits "aucun infirmier n'était présent dans la salle commune auprès des patients, ce qui constitue un défaut de surveillance". C'est pour ce motif que le directeur a convoqué les cinq infirmiers en conseil de discipline, en faisant valoir que l'UMD n'en était pas à son premier incident : une instruction judiciaire a été ouverte après le décès, le 14 juillet 2004, d'un patient qui avait fait l'objet d'une contention, tandis qu'un autre malade s'est plaint d'avoir subi des violences, fin juin ­ des allégations qui n'ont cependant pas été prouvées. "Tout le monde sait depuis longtemps qu'il existe des dysfonctionnements à l'UMD , affirme le directeur. C'est une forteresse qu'il faut faire évoluer en réinterrogeant les pratiques médicales."

    Au-delà, c'est le fonctionnement de l'UMD dans son ensemble qui est mis en cause, l'Arhif affirmant que la rénovation n'a pas abouti à la redéfinition d'un "projet médical et d'un projet de soins" . "On nous a dit que la restructuration aboutirait à une plus grande humanisation, mais, aujourd'hui, les patients sont comme des lions en cage , dénonce André Tollendal, infirmier. Avec ces nouveaux locaux, on est plus préoccupés par des problèmes de sécurité que par la qualité des soins."

    "Le conseil de discipline est un chiffon rouge qu'on agite pour éviter de parler des sujets importants, comme obtenir un véritable projet de soins pour l'UMD , estime Gilles Delbos, conseiller général (PCF) d'Ivry-sur-Seine et président du conseil d'administration. Mais il va bien falloir retomber sur ses pattes et parler des moyens humains et de qualité d'accueil."

    Pour l'heure, seule la sécurisation accrue du site a été envisagée, dans une optique toujours plus carcérale : les grillages et le mur d'enceinte seront prochainement surélevés, et des systèmes de détecteurs infrarouges et de vidéosurveillance mis en place.


    L'accès direct aux psychiatres remis en cause
    Le Figaro, le 1er octobre 2005
    Par Catherine Petitnicolas, extraits :

    Les psychiatres de ville sont inquiets. Car l'accès direct du patient à un psychiatre, sans passer par l'aval du médecin généraliste, est menacé. Cette mesure avait été annoncée publiquement le 1er juillet dernier lors de la mise en place du parcours de soins, au même titre que l'accès direct au gynécologue et à l'ophtalmologiste.

    Si on abandonne l'accès direct au psychiatre, on entérine l'idée que le métier de psychiatre est avant tout celui d'un consultant, d'un technicien qui va exercer en dehors de toute relation thérapeutique avec son patient. «C'est un déni du respect de la singularité de chaque patient et du temps nécessaire à l'écoute», s'insurge le docteur Yves Froger, psychiatre à Lorient en secteur I et secrétaire général de l'Afpep-SNPP. «Car la psychiatrie est une spécialité médicale bien particulière, non réductible à des prescriptions, des rééducations ou encore à des protocoles identiques pour tous. Contrairement à d'autres spécialités bien codifiées.»

    Exemple, la dépression, une maladie qui concerne ou concernera 20% de la population, soit un Français sur cinq, à un moment ou un autre de son existence. Si on se contentait de ce que dit la «science» ou la neurobiologie, il suffirait de prescrire selon des protocoles bien précis, un antidépresseur puis un autre, en cas d'échec du précédent, puis encore un autre... «Et on s'en tiendrait là. Sans chercher à savoir ce que la dépression représente pour le malade, dans son système de relation, dans son histoire, dans sa famille, dans son travail, voire même s'il n'a peut-être pas tort de déprimer», analyse le docteur Pierre Cristofari (Hyères). «Car il n'y a pas de patient type et nous, gens de terrain, voulons pouvoir soigner les gens, en leur proposant outre les médicaments, aussi bien un soutien psychologique voire une psychothérapie ultérieure.»


    «Mais malheureusement aujourd'hui, nous sommes à une période où la neurobiologie et la pharmacologie cherchent à prendre le dessus», ajoute le docteur Patrice Charbit, psychiatre à Paris. «On cherche à les faire passer pour le nec plus ultra. Alors que les nouveaux médicaments issus de la recherche en neuropharmacologie n'ont guère fait de progrès par rapport à ceux découverts il y a près de cinquante ans, tant au niveau des antidépresseurs que des antipsychotiques», comme l'a maintes fois souligné un universitaire comme le professeur Edouard Zarifian. «Il ne s'agit pas de la science mais des oripeaux de la science», tranche le docteur Pierre Cristofari. «Or le premier devoir de la science, c'est de rappeler le doute et surtout les limites du périmètre auquel ces découvertes s'appliquent.»

    Mais aujourd'hui la plupart des jeunes psychiatres sont formés à l'école neurobiologiste. «Si nous dénonçons aujourd'hui l'accès limité au psychiatre, c'est pour éviter que leur exercice soit considéré comme une simple technique, conclut le docteur Loubatière. On cautionnerait le fait que cette spécialité ne soit plus que la prise en compte d'un fonctionnement neurocérébral inadéquat. Alors qu'elle doit demeurer l'alliance entre toutes les disciplines qui la constituent.» Dans l'intérêt des patients.